Confiné, mais pas prêt à lâcher sa plume, notre auteur Pierre Belsœur*, journaliste devant l'éternel, tente de rejoindre clandestinement son bureau. Un trajet " fantasmé ", semé d'embuches et digne d'un agent secret.
* Retrouvez les aventures du commandant François Athibard dans l'un des quatre romans polar de Pierre Belsœur : Suzanne sans crier gare, Avaricum Coke, L’Écume des vieux-fonds et A Corps et à cru.
Possibilité de commander via le Drive des producteurs mis en place par l'agence d'attractivité de l'Indre.
Jeudi 16 mai 2020
- Nom de Dieu !
Ce n’est pas mon téléphone, en panne depuis un mois. Pas la télé non plus. Elle a rendu l’âme voici deux semaines.
Pas ma femme, partie chez sa mère le 2, au terme d’une ultime engueulade sur l’efficacité de la chloroquine.
-Chloredécone banane, je lui ai lancé, pour rire.
Elle a pas ri. Faut dire qu’elle a fait médecine deuxième langue et que sur les maladies, elle connait presque tout. Alors elle est partie en emportant son téléphone évidemment et le poste de radio en édition spéciale depuis deux mois.
Non cette fois je panique pour de bon.
Je n’ai plus d’attestation de déplacement dérogatoire !
Vous allez rire, mais c’est devenu plus important que l’attestation d’assurance, la carte grise, l’attestation de contrôle technique... enfin toutes les contraintes que l’on supportait avant d’y ajouter celles du numérique.
Mais je m’égare, sans le foutu papier je ne peux plus mettre le nez dehors. Les drones patrouillent en permanence.
J’habite un quartier sensible... près du parc de Belle-Isle et du jardin public que même les canards ont déserté. Plus un pékin pour leur lancer un bout de pain. On va bientôt les retrouver dans les poubelles de la résidence de Belle-Isle dont ils ont déjà maculé le parking de leurs déjections. Sales bêtes va.
Faut pas plaisanter avec l’autorisation de déplacement dérogatoire. On peut en mourir. Si, si !
Châteauroux est en tête du hit parade de la sécurité. A peine réélu le petit maire a bouclé sa ville à double tour. Il a fait fusiller, pour l’exemple un fraudeur attaché à une colonne de Rougemont, place de la République. Un mannequin évidemment, mais la vidéo a fait le tour du monde, vue plus de 4.000.000 de fois sur le site de La Bouinotte. La NR a fait la gueule pour s’être fait griller sur ce coup là !
Pas d’autre solution que de forcer le blocus, rejoindre mon bureau et mon ordinateur rue de l’Indre.
Ça va être chaud.
Bon, d’abord chronométrer les passages du drône.
Douze minutes, ça me laisse le temps de rejoindre le pont de l’Indre. Après je suis à couvert jusqu’au pont de Gütersloh, ensuite je ne risque pas de croiser de patrouille derrière le Comptoir des Pharmaciens.
C’est jouable.
Ça y est, l’engin volant vient de passer. J’attaque au pas de course l’avenue Gédéon Duchâteau.
Merde ! Un gyrophare en vue alors que je finis de dépasser la bulle !
Ni une ni deux, je plonge sous le pont face au skate-park.
Finalement ce n’était qu’une voiture de pompiers, mais on sait jamais.
Je laisse passer une deuxième fois le drone.
Elle n’en finit pas cette avenue, pensée furtive pour les coureurs de l’Ekiden qui viennent se la taper tous les ans.
Ça y est, les marches et les bosquets de la résidence des rives de l’Indre.
Incroyable, un troupeau de trente-cinq canards me barre la route.
Manquerait plus que je dérape sur leur merde. Seraient capables de venir me bouffer !
Ils reculent mais à leur caquetage on sent que ça les débecte cette présence humaine sur leur territoire.
Je reprends mon souffle sur la promenade en bordure de l’Indre. En d’autres temps, j’aurais jeté un coup d’œil au château Raoul qui se reflète, sans penser à mal. Mais là « C’est la guerre »
Pas de bruit de moteur en approche. Je bondis sur le pont et je fonce pour prendre la voie qui conduit au parking désespérément désert.
C’est presque gagné mais le palpitant bat à 3.000 !
Ce serait pas de pot un infarctus alors que la mode est aux bronches.
Pratiquement collé à la palissade de chantier je progresse à couvert. Le bâtiment n’est plus qu’à vingt-mètres. J’aurais pris mon bip, je passais par derrière et c’était gagné.
Ouf, la rue de l’Indre est parfaitement déserte. Dans cinq mètre je déverrouille le portail d’entrée. J’ai la clé, prête, dans ma main droite.
Allez, dernier effort.
- Bonjour Monsieur Belsoeur.
La voix vient de la Grande Échelle.
Victor Dupont, on se croise régulièrement pour la préparation de La Nuit du Polar !
Devant l’uniforme du policier municipal toute velléité d’excuse s’évanouit.
- Eh ben c’est pas dommage dites donc. Mais c’est vrai, vous êtes journaliste, vous l’aviez appris avant tout le monde.
Mon air ahuri l’incite à compléter en regardant sa montre.
- Le confinement est levé depuis deux minutes.
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