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Un jour, une nouvelle… Patrick Caujolle

Dernière mise à jour : 31 mars 2020

Patrick Caujolle, auteur du roman Au nom du Roy paru aux éditions La Bouinotte en 2019, profite de son confinement pour livrer quelques lignes " polardesques "... une courte histoire au rebondissement imprévisible.


 

Un repas bien innocent


20 h 00.


Je viens de rentrer le tracteur. Les bêtes sont parquées, j’arrive. Elle est là, devant moi, pimpante comme toujours dans son petit ensemble Azzaro. Il y a neuf ans, un sourire, un baiser et quelques mots gentils m’auraient accueilli. Plus le cas aujourd’hui. J’enlève les bottes, ouvre ma salopette.

- On va être en retard, me dit-elle.

Je lui dis qu’il n’y a pas le feu, que je prends la douche et que j’y suis. Dieu que je suis bien ! J’ai le sentiment que l’eau m’assainit, me filtre de toute ma crasse… pour ce qui est du corps du moins. Pour le reste, pour l’intérieur, différent.

Marre, j’en ai marre.

Ce n’est pas un, mais deux étaux qui m’oppressent. Le véto à payer, les cours qui s’effondrent, les dettes, et puis elle, elle, si loin de celle que j’ai connue, de cette petite ariégeoise originaire de Belcaire et belle comme un cœur. Une historienne de l’art et un éleveur ! Mariage de la carpe et du lapin. L’eau dégouline. Je pense à ces reproches, incessants, insidieux. Ces résidus de paille que je sème partout, cette odeur que je trimballe dans la maison, cette lassitude qui se mue en ronflements pendant le film. Sans parler du reste, de ce qui n’est pas, de ce qui nous aurait soudé à jamais et qui n’est pas venu.

Des mois que l’on en parle. Elle veut que je passe des exams, me dit que c’est peut-être à cause des produits, du glypho ou de je ne sais quoi, que c’est sa raison de vivre. Bien sûr, moi aussi j’en rêve, mais il n’arrive pas. Un petit, une petite, que je puisse bercer, border, et à qui j’apprendrai à soigner les agneaux au milieu des brebis et des chats de la maison. Mais rien, rien ne se passe. Elle me l’avait bien dit, qu’elle voulait en parler à ma mère. Comme si ma chère maman pouvait y faire quelque chose. C’est ce soir. Pas envie d’y aller. Je suis sûre qu’elle a tout organisé, repas compris, pour que je sois sur la sellette, pour me pousser à passer mon temps chez les toubibs, comme si j’avais que ça à faire. Un cri transperce la porte :

- T’as bientôt fini ?

J’en peux plus. J’imagine la soirée, la conversation autour de l’infertilité, des spermatos, des fécondations in vitro. J’arrête l’eau, mais tout déborde. L’une va encore me considérer comme un gamin de trois ans, l’autre comme un pauvre type juste assez vaillant pour travailler à perte. Je m’essuie, mais rien ne s’essore.

Quelque chose monte en moi.

Quelque chose qui n’est pas moi mais qui soudainement me dompte, prend mon contrôle.

Je mets mon jean bleu et mon tee-shirt du Stade. Évidemment ça ne lui va pas. Elle me veut en pantalon de toile et en chemise. Ce repas est important, me dit-elle. Je me change. Je visualise un match avec mes potes autour de pizzas royales et de madirans qui le ne sont pas moins. Fantasme que tout cela ! De toute façon, elle n’aime pas le rugby et ne supporte pas mes copains.


Ça y est, je suis changé.

Je l’ai fait un peu comme un automate, un peu en état second, mais c’est fait. Elle me regarde, un petit sourire en coin. Putain que je hais ce sourire ! Il y a tout dedans, la condescendance et le mépris, la distance et la mésestime.

Elle attend.

Elle a son sac en bandoulière et triture ses clefs de sa main gauche. Ce bruit, ce cliquetis incessant, est atroce. On dirait qu’elle tient le passe-partout d’une prison, de l’enfer qui sait. Elle se tourne vers la porte, marche devant moi. Je ne sais pas ce qui se passe, je ne m’obéis plus. Mes mains se lèvent, entourent son cou et serrent, serrent. Maintenant, c’est moi l’étau, moi qui me venge de tout, qui expurge. Elle ne réagit pas. Au contraire, doucement, je la sens glisser et s’affaler, sereinement, comme une feuille morte. Par terre, les clefs se taisent enfin, elles-aussi inconsistantes, elles-aussi hors d’état de nuire. Maintenant, c’est moi qui domine.


Ah ! Le téléphone sonne.

Je me sens encore anesthésié, mais je me précipite, décroche, comme si de rien n’était. C’est ma mère.

- Vous arrivez ?

- Oui, maman.

- Allez dépêchez-vous, le champagne est au frais, tout le monde trépigne.

- Mais qu’est-ce qu’il y a ?

- Mais Corinne est enceinte. Elle ne te l’a pas dit ?



 

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17 octobre 1793.

Tout un peuple debout. En Vendée, en Anjou, en Poitou et jusqu'au Marches de Bretagne, l'embrasement est total, contre la conscription de masse, contre la Constitution Civile du clergé. Cholet évacuée la veille, des milliers de combattants se mettent en marche pour la reprendre. Étienne Fièvre, jeune chirurgien de la Tessoualle, est parmi eux. En quelques jours, les combats, l'odeur du sang, la traversée de la Loire et la prison, il va tout connaître, tout apprendre. Mais, il ignore la destination de ces corps, de ces centaines de cadavres que les Bleus amassent, transportent et entreposent dans le plus grand secret. Dépouillement ? Trafic d'organes ? Expérimentations médicales ? Il va penser à tout, sauf au pire.

Sa quête de vérité lui fera rencontrer une vendéenne insoumise puis le conduira jusqu'à Paris où un prêtre et une jeune prostituée, toujours au nom de sa foi, toujours au nom du roi, lui confieront une mission aussi périlleuse que capitale. Dans l'opacité d'un monde à rebâtir, il découvrira aussi la lueur de l'amour et l'ambiguïté de la passion.


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