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Les évasions de Léandre Boizeau... J22


Léandre Boizeau vous parle de son quotidien casanier, mais l'esprit vagabond...

Le créateur des Ronchons, personnages du fameux musée qui foulent les planches du Berry depuis près de quatre ans, ne pouvait rester sans voix, pas plus que ses comédiens d'copains.

Depuis le " jour 1 ", il ne manque pas de temps pour laisser ses pensées divaguer et faire " chonchonner " nos Ronchons préférés.









 

Le jour où j’ai failli périr en lac




C’était le bon temps,

celui où l’on pouvait aller à la pêche,

se promener librement dans la rue,

s’embrasser, voyager…


Finalement, c’était il y a très longtemps, bien avant le bal masqué qui bat son plein actuellement, mais je m’en souviens encore.


Il y a de ça une vingtaine d’années, mon ami Al, patron d’une agence de voyage en région parisienne me fait une demande bien particulière :

- Pourrais-tu me rendre le service d’aller tester pour moi la croisière Saint-Pétersbourg – Moscou ? La compagnie russe qui exploite cette ligne m’invite avec un groupe de décideurs de voyages avec l’espoir que nous l’inscrivions à notre programme. Mais j’ai un problème : à la même époque je suis à Rhodes.

Autant vous dire que je n’ai pas réfléchi très longtemps avant de donner mon accord ! L’occasion était trop belle d’aller visiter ce pays qui m’avait fait rêver si longtemps, trop longtemps peut-être…


Le jour dit, Al m’emmène donc à Roissy pour prendre l’avion. J’ai une mission à remplir, mon carnet pour prendre des notes, je suis paré.

Sauf que l’avion me fait mauvaise impression : ce n’est même pas Aéroflot qui n’a pourtant pas trop bonne réputation, mais une filiale d’Aéroflot…

Brrr !

Enfin, je suis le mouvement.

L’intérieur ne me rassure pas vraiment. Mon siège se balance à la manière d’un rocking-chair, celui du passager qui est juste devant-moi est agité du même tremblement… Dans quelle galère suis-je parti ?

Et je ne suis qu’au tout début de l’aventure !

On décolle. Mais une fois en l’air, les choses vont se compliquer. Les deux tiers des passagers sont des Russes qui ont, semble-t-il, leur manière bien à eux, de voyager en avion.

On ne volait pas depuis plus d’un quart d’heure que les cigarettes s’allument et que les premières bouteilles de whisky et de vodka sont débouchées.

Les quelques Français qui sont là s’interrogent : " depuis quand a-t-on le droit de fumer dans les avions ? La réponse va venir d’un des pilotes qui sort de la cabine cigarette au bec.

Je me surprends alors à penser :

« Les pilotes fument, pourvu qu’ils ne boivent pas autant que les passagers. »

Car ça boit énormément ! Le ton des discussions monte. Les deux superbes jeunes femmes qui sont assises à côté ne peuvent plus désormais qu’entrecouper leurs rires de hoquets !

Brrr !

Et l’autre qui est devant moi s’effondre sur son siège à bascule qui me bouche l’horizon au ras du nez !

Il y a des jours, comme ça où l’on souhaiterait être ailleurs. Confiné chez soi par exemple, mais ne parlons pas de malheur…

Après un vol qui m’a paru infiniment long, on finit enfin par arriver à destination. Enfin, pas tout à fait : nous sommes dans cette phase si délicate de l’atterrissage au cours de laquelle on a le sentiment d’être en suspens dans l’air.

Pourvu, pourvu qu’il soit bien porteur jusqu’au bout, jusqu’au moment si rassurant où les roues touchent le sol.

On y est presque…

Et là, d’un seul coup, les réacteurs se mettent subitement à rugir et nous reprenons de la hauteur ! Que s’est-il passé ? A-t-on raté l’atterrissage ? Je me pose plein de questions et ne suis visiblement pas le seul à m’en poser parmi les passagers français de l’avion.

Le Russe qui est devant moi, lui ne s’en pose pas. Il a tout compris. Il se lève dans l’allée et se met à mimer un crash ce qui déclenche l’hilarité générale des adeptes de la vodka non stop.

A cet instant, j’ai le sentiment d’être mal embarqué.

Contre toute attente, le pilote va finir par le poser ce foutu zinc non sans ménager à ses passagers une frayeur finale avec un freinage, plus que massif, qui va provoquer une belle bousculade parmi les bouteilles vides qui jonchent le sol.

Ouf ! On y est.

On passe dans un premier salon équipé de banquettes très accueillantes : les deux superbes créatures qui occupaient les sièges voisins du mien n’iront pas plus loin. Elles ont visiblement besoin d’un sommeil réparateur.

Moi je poursuis mon chemin jusqu’au hall d’accueil où nous sommes pris en charge pour être amenés en car jusqu’au bateau de croisière qui nous attend. Ce qui me frappe immédiatement, c’est l’état de délabrement avancé des véhicules qui circulent et des bus en particulier, rafistolés de partout…

Étonnant comme première impression !

Mais les organisateurs vont se charger de nous faire oublier tout ce qui pourrait ternir l’image de la Russie : champagne, vodka, caviar, danseuses…

Le grand jeu !



Les deux journées qui suivront avec visite de l’Ermitage et des monuments de la ville seront elles aussi à la hauteur de mes espérances.

Chaque soir, nous regagnons donc le bateau qui n’a pas mauvaise allure bien que datant des années 80. On nous précise qu’il a été construit en Allemagne de l’Est et qu’il est à fond plat pour faciliter la navigation fluviale. Le confort est assez spartiate, chaque cabine est équipée d’un hublot en forme de vasistas qui offre une belle vue et qui peut même s’ouvrir à la demande. Seul problème : l’étanchéité n’est pas parfaite et le mien laisse passer un petit courant d’air frisquet assez désagréable…

On ne va pas commencer à grogner pour si peu !

Et c’est enfin le départ pour la grande aventure!

Nous naviguons sur la Léna, un beau fleuve tranquille, et nous avons tout loisir de goûter aux joies de la croisière :

rythme lent,

découverte des paysages,

rituel des repas…

Tout baigne !

Jusqu’au soir où nous arrivons en vue du lac Ladoga.

Le temps se brouille. Le vent se lève. Les eaux du lac se creusent, le bateau bouge beaucoup. Il me donne même l’impression de se cabrer comme s’il refusait d’aller plus loin. Et là, ça devient nettement moins agréable. On continue pourtant d’avancer, on double des bateaux qui sont à l’ancre. Je me demande à cet instant si l’on ne ferait pas mieux d’en faire autant, mais je ne suis pas le capitaine qui doit savoir où il va…


Curieusement, alors que je me sais très sensible au mal de mer, je ne suis pas malade. Pour éviter de l’être, la seule chose à faire est de se coucher. Ce que je m’empresse de faire.

Mais ça tape de plus en plus fort ! J’ai l’impression que le bateau se soulève littéralement pour retomber sur l’eau dans un fracas infernal.

D’un seul coup, tout se renverse dans ma cabine.

J’allume la lampe de chevet. Je cherche fébrilement mes lunettes, finit par les retrouver, elles ne bougeront plus de mon nez c’est plus prudent. Toutes mes affaires sont éparpillées sur le sol. Je me lève et ouvre la porte qui donne sur la coursive.

Tous les « croisiéristes » ont fait comme moi. On s’interroge. Que va-t-il se passer ? A ce moment entre un grand marin Russe qui lève ses deux bras en guise d’apaisement :

- No problème ! No problème ! gueule-t-il en roulant les R.

A peine a-t-il gagné la porte du fond que le toit de la coursive s’effondre derrière lui !

Panique à bord !

Nous sommes foutus.

Je vois ma dernière heure arriver…

Je suis certain d’y passer quand je rentre dans ma cabine. L’absolue nécessité de témoigner, de laisser une trace écrite me saisit. Je cherche mon fameux carnet, un crayon et j’écris.

J’écris, ce que j’entends, ce que je suppose, ce qui m’attend, jusqu’à la découverte d’une vérité lumineuse : la réalité est trop drôle. En fait, je suis venu du pays des étangs pour faire naufrage dans un lac !

Et là, j’éclate de rire ! Un rire nerveux peut-être, mais un vrai fou-rire que je n’arrive pas à maîtriser et qui me fait du bien.

Nous allons passer la plus grande partie de la nuit à être brinqueballés de tous côtés comme dans une essoreuse. Au petit matin, alors que la tempête a l’air de se calmer un peu, je glisse un œil au vasistas : nous sommes à l’ancre tout près des bateaux que nous avons aperçus la veille au soir.

On a du faire demi-tour…


A l’heure du bilan, on va s’apercevoir qu’il n’y a plus un verre de vivant au bar, que la literie est mouillée dans les cabines tribord qui ont toutes embarqué de l’eau et qu’au final, on est passé tout près de la catastrophe :

d’après le capitaine l’angle de gite était si important qu’on a failli chavirer.

On apprit par la suite que l’ordre de garder le cap malgré la tempête n’avait pas été donné par le capitaine mais par le commissaire de bord qui avait un souci : il lui fallait impérativement rester dans les temps pour embarquer un groupe d’Américains à Moscou ! Ce même impératif à respecter fera que nous n’irons pas au terme de la croisière : nous serons largués en quasi pleine nature à une bonne centaine de kilomètres avant la capitale que nous rejoindrons en car.

Entre temps, nous aurons droit à 24 heures de neige ininterrompue qui ne permet pas de voir au-delà de 10 mètres et à des visites… d’églises.

C’est fou ce qu’il y a comme églises en Russie !

Étonnant quand on repense aux informations laissant entendre avec insistance que les Bolcheviks les avaient toutes brulées ! Ou alors il y en avait vraiment beaucoup avant la Révolution ! Donc au menu : église, église, église avec parfois un monastère au dessert ! Pour un peu je serais bien revenu converti.

Surtout que revenir vivant d’un tel voyage tenait presque du miracle !


Mon ami Al n’inscrivit pas cette croisière à son catalogue :

le test n’avait pas été concluant.

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