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Les évasions de Léandre Boizeau... J20


Léandre Boizeau vous parle de son quotidien casanier, mais l'esprit vagabond...

Le créateur des Ronchons, personnages du fameux musée qui foulent les planches du Berry depuis près de quatre ans, ne pouvait rester sans voix, pas plus que ses comédiens d'copains.

Depuis le " jour 1 ", il ne manque pas de temps pour laisser ses pensées divaguer et faire " chonchonner " nos Ronchons préférés.







 

Le jour où Jean-Pierre Chabrol est venu à Palluau



Il nous faut bien le reconnaître :

le confinement, ce n’est pas la tasse de thé des vieux.


Nous, les écrans, le virtuel en général ça ne nous branche que très modérément, voire même pas du tout pour les adeptes du jardin - belote - pêche qui sont encore nombreux dans notre région.

Avez-vous remarqué au passage qu’on ne parle plus de seniors, de troisième ou de quatrième âge, mais qu’en ce moment, on se demande avec insistance :

à partir de quel âge est-on vieux ?


Les réalités, même fuyantes, finissent toujours par être rattrapées !

Derrière tout ça se cache une vraie question : qui bénéficiera ou non d’une mesure de mise en liberté provisoire dans les semaines à venir ?

En attendant la sortie de la centrale pénitentiaire, nous, les vieux, on s’occupe comme on peut.

Durant 19 jours je me suis fait ma classique à moi :

Buzançais – Fouras !

A vélo. D’appartement s’entend ! Sans ausweis et sans contrainte d’heure.

Une belle épreuve qui m’a permis de m’évader et d’amener avec moi un petit peloton d’amis qui me font maintenant reproche de les avoir laissé tomber en carafe à Fouras. Et ils ont fini par me donner mauvaise conscience ! Je me suis donc interrogé : que puis-je faire pour leur venir en aide ? J’ai tout simplement pensé qu’ils seraient peut-être intéressés par un voyage dans le temps de mes souvenirs et le premier qui m’est venu à l’esprit, c’est le jour où Jean-Pierre Chabrol est venu à Palluau.

 

C’était le 13 juin 1992, une date importante pour la Bouinotte :

celle de son dixième anniversaire.

A cette époque, le magazine évoluait dans un climat particulier, pas toujours favorable et, plus que jamais, il nous semblait qu’il fallait affirmer, avec force, son existence. L’occasion se présentant, nous n’allions pas la manquer !


J’avais donc retenu la salle des fêtes de Palluau, une des plus grandes de la région, pour y accueillir une quarantaine d’auteurs régionaux dont des « pointures » :

l’Auvergnat Jean Anglade,

le Franc-Comtois André Besson,

le Vendéen Jean Huguet

Et une « vedette » : Jean-Pierre Chabrol, le Cévenol !


L’auteur de « Les Fous de Dieu » qui retrace l’épopée tragique des Camisards,

de « Les Rebelles », « La folie des miens »… et tant d’autres encore dont beaucoup ont été adaptés pour la télévision, l’ami de Brassens, de Jean Ferrat, Léo Ferré, Jacques Brel… s’était lancé assez récemment dans une carrière de conteur et c’est à ce titre qu’il a accepté de venir à Palluau avec « Cévennards », un spectacle qui doit être officiellement créé le mois suivant au Festival d’Avignon.


C’était un événement d’autant plus important à mes yeux que j’étais moi-même un fou de Chabrol. J’aimais tout à la fois la plume virulente du rebelle, le conteur talentueux et sa gueule de métèque. Aussi, pour bien marquer le coup, dans La Bouinotte je m’étais fendu d’un texte sur Palluau :



« A chacun ses rêves de grandeur : lorsque j’étais enfant, ma montagne à moi, c’était Palluau. Une montagne accessible par une allée de platanes, un arc de triomphe végétal qui, dès la sortie de Saint-Genou, s’emparait de votre petite personne pour mieux vous préparer psychologiquement à l’ascension finale.

Une montagne de façades et de toits entrelacés qui se dressait devant vous sitôt le pont de l’Indre franchi, si haute que le château qui la couronnait piquait ses tours dans les nuages. Une pente dont la vue vous incitait à la prudence, à l’économie de vos efforts si vous vouliez éviter la honte du pied à terre. Une sorte d’Aubisque, de Tourmalet peut-être…

Quand mon « Alcyon », que je chevauchais d’une pédalée quasi aérienne, franchissait la ligne blanche du sommet, juste devant le « Stella » du grand Louison Bobet – mon fidèle équipier – j’avais le sentiment justifié d’avoir réalisé une belle performance. Je me laissais ensuite glisser doucettement jusqu’à la minuscule place ombragée qui s’adosse à l’église. Mon vélo venait tout naturellement s’appuyer sur le tronc tourmenté d’un tilleul et, pendant qu’il récupérait des durs efforts de la montée, je gagnais un banc de bois, déjà vieux, déjà vert et qui, quarante ans après, existe toujours, plus vermoulu que jamais.

      Et de là, mesdames et messieurs, je contemplais le monde.

Oui, le monde, le mien qui s’étendait de Buzançais à Clion en passant par Saint-Genou avec sa nationale, sa rivière, ses peupliers, ses châteaux d’eau… Immense, silencieux, paisible. Avez-vous remarqué comme l’esprit se libère du quotidien quand le regard porte loin ? De là-haut, tout était beau.

 Voyez bien que je sais tout, ou presque de Palluau !
Je pourrais, comme d’autres, vous donner ma version estampillée historique de la chouannerie qui, partant vaillante de la Joubardière, se débanda aux abords de la « Montée Rouge ». Je ne le ferai pas, cela me vaudrait encore du courrier de mécontents…
 Je pourrais, plus simplement, vous rappeler ce que furent les fêtes de la plage - 3ème dimanche d’Août - avec barques illuminées glissant sur l’Indre entre deux berges garnies de spectateurs admiratifs.
 
Tiens, vous dire si je sais tout, je pourrais même vous entretenir des variations de prix du canon de rouge chez la Fernande qui tenait bistrot et recette buraliste à gauche en montant, juste avant le champ de foire. Mais Fernande n’est plus là. Le bistrot non plus.
Que le monde était beau, vu d’en haut, après le passage de la ligne blanche…. »

Le 13 juin 1992,

j’attendais donc avec impatience le moment où j’allais recevoir Jean-Pierre Chabrol.

Il arriva, accompagné de son agent, et me déçut d’emblée en refusant de manger avec nous, en demandant à s’isoler et, pire que tout, en exigeant que sa chemise fût repassée ! Celui que, dans ma tête, j’avais hissé sur un piédestal avait des caprices de diva !

Ma déconvenue était grande, mais il me fallait parer au plus pressé et répondre à sa demande. Contactée, la jeune coiffeuse de Palluau accepta bien gentiment de se mettre au fer à repasser.

Ouf !

Ce n’est que quelques mois plus tard, quand je fis à mon tour mes premiers pas sur scène, que je compris ce que ce luxe de précautions signifiait. A chacun sa routine pour se concentrer avant d’aller au-devant d’un public.


Mais ce jour-là, j’attendais la suite…


Elle dépassa mes espérances.

Oui, cet homme là savait « rajouter un peu d’ivresse à l’ordinaire ». Ceux qui, comme moi, ont eu la chance d’assister à sa prestation s’en souviennent encore. Je n’étais pas au bout de mes découvertes. Après son passage sur scène, comme soudainement libéré, Jean-Pierre Chabrol redevint lui-même, celui que j’avais toujours imaginé :


un homme simple, ouvert, chaleureux.




On discuta un bon moment ensemble.

Je lui offris une Bouinotte avant la traditionnelle séance de dédicaces qui était très attendue par ses lecteurs. En fin de soirée, on eut l’occasion d’échanger à nouveau. Il tenait le magazine ouvert à la page qui annonçait le 10e anniversaire. Il me montra la page que j’avais écrite pour l’occasion :

- C’est toi qui a écrit ce texte ? me demanda-t-il.

- Oui

- Tu as tout compris de Palluau !

Je vais vous faire un aveu.

Je n’ai jamais accordé la moindre importance aux prix littéraires que s’auto-distribuent les érudits en général bien pensants. Amour propre blessé ? Orgueil mal placé ? Manière originale de cultiver sa singularité ? Je laisse à chacun le soin d’en penser ce qu’il veut.

Mais ce qui est vrai, c’est que ce « Tu as tout compris de Palluau ! » reste, depuis ce jour, inscrit dans ma mémoire comme la seule et belle distinction que je revendique pleinement.

Merci Jean-Pierre.

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