C'est le moment de feuilletonner...
L'auteur berricho-tourangeau Jérémy Bouquin l'a bien compris et vous entraine dans un polar sombre, en temps réel.

Un feuilleton polar, créé spécialement pour le Confi-blog de La Bouinotte… C’est le pari, avec ce roman noir planté du côté de Levroux, dans l’Indre, dont il va nous livrer un épisode chaque jour.
Pas de titre pour le moment. A vous de trouver !! On attend vos propositions sur notre mail : la-bouinotte@orange.fr, ou sur les réseaux sociaux de La Bouinotte.
Jérémy Bouquin
Autodidacte, réalisateur de courts et moyens-métrages, Jérémy Bouquin est auteur de romans policiers, nouvelles noires. Il a participé à deux recueils de nouvelles black Berry, éditions La Bouinotte. Sous l'alias Jrmy, il est scénariste de la Bd polar Le Privé. Mais dans "la vraie vie", Jérémy est travailleur social.
Son site : http://jrmybouquin.free.fr

Épisode 9
Charly va pour fermer la porte de la sacristie.
Les deux gamins sont maintenant loin, ils ont disparu dans la nature.
- Visiblement, ils sont venus régulièrement…
Il remarque dans une poubelle proche des paquets de gâteaux, des cartons de packs de bière.
- Y’a pas beaucoup de lieux de squat dans le coin, puis la période hivernale n’est pas forcément la plus touristique, explique Raoul, qui empoigne le sac poubelle, et commence à faire le tri, il s’excuse des conditions d’accueil, qu’il aurait pu faire le ménage…
Le cantonnier a été confiné, il est malade chronique, il fait du diabète et fume beaucoup. Fumer ? Le virus attaque les bronches, les poumons, puis le gars n'est déjà pas bien en forme alors si on aggrave son cas, il n'est pas prêt de se retrouver en retraite !
La commune dispose de deux agents à mi-temps, une secrétaire et le fameux cantonnier. Marie est elle aussi en confinement, elle devrait être en télétravail, mais l’Internet dans le coin marche mal… Alors elle va certainement aller chez son fils à Châteauroux…
Raoul est toujours aussi bavard, le rangement lui file une belle suée, il explique aussi qu’il a fait vider les bénitiers, qu’il a vu à la télé que les Italiens avaient fait cela.
- Les Italiens… vont mal, tous les jours on annonce de plus en plus de morts. Même le Pape est obligé de faire son homélie depuis une vidéo conférence, il est puni de balcon le patron ! Mais où va-t-on… Où va-t-on… l’économie, le pays à l’arrêt.
On n’a jamais connu ça, lâche le Raoul, dépressif.
Lui même, un peu plus de soixante ans, n’a jamais connu la guerre, à peine les trente glorieuses… le fléau, c’était le chômage, le SIDA mais jamais on a vécu un truc comme cela…
- Sûr que votre boulot n’est pas facile mon Père ! qu’il lui renvoie dans les dents. Va Falloir trouver les mots, rassurer.
- Si vous le dites, abrège Charly qui lui s’intéresse surtout au cas de son prédécesseur.
Le curé…
- On l'a retrouvé là, mort, se remet Raoul. Il y était. On lui a demandé de venir, pour constater le décès. C’est aussi le rôle du maire.
Il désigne du doigt un bord de la moquette. Un coin de la pièce, pas loin d’une grande aube blanche et d’un jeu d’une demi-douzaine d'écharpes colorées tendues sur un cintre.
Le sol en carrelage froid a été nettoyé, le mur aussi. Il y avait du sang partout, quand je suis entré là-dedans, il était allongé de tout son long, le visage tourné vers le sol, le crâne ouvert.
Une odeur immonde.
Il était mort quelques jours auparavant, personne ne s’en était inquiété.
Charly se penche vers le sol, touche le carrelage, comme si cela pouvait lui parler.
- Il est mort de quoi ?
Raoul bredouille, il explique…
- Certainement un accident, sa tête a percuté la table, son bureau. Il désigne justement le coin du meuble brut, derrière lui. Les gendarmes sont venus, Clarisse la garde-champêtre les a appelés. Le temps de trouver un docteur qui est venu, d’appeler le procureur pour expliquer la situation. Cela nous a pris la journée. Ils ont vérifié pas mal d'éléments, la porte n’était pas fracturée, pas de violence non plus. J’ai téléphoné au diocèse aussi… Qu’il se souvient.
Cela a sérieusement attaqué le maire, il en tremble encore. Il fixe le coin comme si le corps du pauvre bougre était encore là.
Puis ils ont fini par lever le corps…
Les pompes-funèbres Cousin de Levroux sont venues.
Voilà…
- D'après les gendarmes, cela arrive souvent de retrouver les gens comme cela.
Il soupire à nouveau.
- Y’a pas eu d’enquête ? S'étonne Charly. Les circonstances ne sont pourtant pas claires.
- C’était le bazar dans son bureau, des livres partout. Sa veste trainait par terre, l’officier a expliqué qu’il avait dû se prendre les pieds. Le procureur a bien posé quelques questions. Mais rapidement, ils ont tourné en rond. N’ont rien trouvé.
Charly se tourne, voit sur le bureau un agenda, ouvre vers les dernières pages. Il y a des rendez-vous, avec des heures des visites.
- C’est pour les confessions, il prenait le temps de voir tout le monde, il était là pour notre chapelle mais aussi pour toutes celles du coin. Il était investi, le curé…
L'agenda parait en effet bien rempli, pas mal de prénoms, il croit même retrouver celle de Jacqueline, il comprend Jacotte. Plusieurs fois le nom apparait.
Il ferme l'agenda, se tourne vers la bibliothèque, les ouvrages, plusieurs séries, de plusieurs époques.
- Les curés se suivent dans le coin, et ne se ressemblent pas.
Il fait en mirant le curé justement.
- Si vous le dites !
Il ouvre un placard, y trouve des vestes, le curé devait faire sa taille, pas forcément sa largeur, il passe les premières. Il trouve une série de cols blancs.
- Un col Romain ! lâche Raoul. Ce qui manquait à Charly.
- Vous… vous pouvez…
Charly zieute un moment le truc, jamais il n’a passé cela, il tortille le truc comme il peut dans son col de chemise, s’y prend tellement mal que Raoul lui vient en aide :
- L’uniforme, c’est pas votre truc ! qu'il se moque.
Agrafé à l’une des vestes, une croix, un Pin’s comme à l’époque où il était gamin, il le prend aussi, cela va compléter la panoplie.
- Essayez le chapeau !
Il portait une sorte de Chapeau Silmon… non, c’est de trop, il repère un béret, noir. Cela sera parfait pour compléter sa panoplie de prêtre. Il se reluque dans le petit miroir qui pend dans l’armoire, tire son col, le plastique lui gratte la base du cou, la transpiration certainement.
On tape à la porte.
La garde-champêtre qui rapplique, il parait qu'il y a eu du grabuge ?
Elle a entendu parler de cela, du bruit… Il parait ! Elle tombe nez-à-nez avec Monsieur le curé qui d’un coup est métamorphosé.
Elle n’en revient pas !
Rien à voir avec le molosse de tout à l’heure. Mon père…
- Des gosses, fait le curé, sans vraiment en tenir compte. Des gosses qui sont venus pour picoler.
- Avec le confinement ! S'agace déjà la fliquette, juste une heure que l’isolement est proclamé qu’elle a déjà droit à ses premiers récalcitrants.
Silence, d’ailleurs, elle se met à juger les deux lascars qui sont devant elle :
- Il faut absolument que la population reste chez soi ! Monsieur le maire, donnez l’exemple.
- Je sais, Clarisse, il fait, tout en restant là dans l'église.
Clarisse devine bien qu’elle n’aura pas le dernier mot.
- Mais…
- Je fais voir l'église à Monsieur le curé ! Lui aussi assure le service public !
Raoul a toujours eu un souci avec la séparation, les notions de laïcité…
- Mais…
- C'est mon lieu de travail, fait Charly, il se souvient parfaitement les dire du président, que ceux dont l'emploi est indispensable à la crise sanitaire doivent continuer leur activité.
- Mais… Je suis indispensable !
Raoul semble d'accord.
Clarisse ne sait quoi en penser, elle préfère les laisser là, alors… Elle demandera quand même à la Préfecture des compléments d’informations.
Mais vu que Clarisse est là, Raoul en profite :
- Monsieur le curé me demandait des détails sur la mort tragique de son prédécesseur.
Là, la fliquette reprend du poil de la bête. Elle donne quelques éléments, reprend l’histoire quasiment comme il l’avait raconté, avec une subtilité. Elle n’est pas d’accord avec les conclusions officielles, elle avait une autre piste…
Elle s’arrête.
- Vous pouvez expliquer votre hypothèse ?
Elle hésite, reluque le curé, le trouve bien trop « particulier » pour se confier.
- Je ne préfère pas.
- Clarisse.
Elle tourne les talons et repart. Elle a un sale caractère mais c'est une gentille fille…
- Et c’est quoi son hypothèse ? Relance Charly.
- Elle pense qu’on l’a tué.
- Tué ?
- Il savait beaucoup de choses, l’ancien curé, le secret du confessionnal, puis il posait des tonnes de questions.
Raoul se tourne vers le curé.
- Un peu comme vous d’ailleurs ! A croire que c’est le métier qui veut cela !
Il lui tape l’épaule et le laisse là.
Il faut qu’il rentre fissa, sinon la Simone va lui servir le déjeuner sur le trottoir.
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