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Confinés... avec Jérémy Bouquin #8

la-bouinotte

C'est le moment de feuilletonner...

L'auteur berricho-tourangeau Jérémy Bouquin l'a bien compris et vous entraine dans un polar sombre, en temps réel.


 

Un feuilleton polar, créé spécialement pour le Confi-blog de La Bouinotte… C’est le pari, avec ce roman noir planté du côté de Levroux, dans l’Indre, dont il va nous livrer un épisode chaque jour.


Pas de titre pour le moment. A vous de trouver !! On attend vos propositions sur notre mail : la-bouinotte@orange.fr, ou sur les réseaux sociaux de La Bouinotte.

Jérémy Bouquin
Autodidacte, réalisateur de  courts et moyens-métrages, Jérémy Bouquin est auteur de romans  policiers, nouvelles noires. Il a participé à deux recueils de nouvelles  black Berry, éditions La Bouinotte. Sous l'alias Jrmy, il est scénariste de la Bd polar Le Privé. Mais dans "la vraie vie", Jérémy est  travailleur social.

Son site : http://jrmybouquin.free.fr

 


Épisode 8


La petite église est juste en face du château.

Charly l'avait bien aperçue la veille mais pas encore visitée. L’église paroissiale Saint-Germain, lui présente, très fier, Raoul le maire. Il connait particulièrement bien le bâtiment, régulièrement il le fait visiter, avec plusieurs autres passionnés. Rien de forcément religieux, le type aime mettre en valeur le patrimoine de sa commune

- On a la chance d’avoir un beau château, un beau village, il faut savoir le vendre !

De l'extérieur, on peut voir des modifications, liées à des phases de reconstruction entre le 19ème et 20ème siècles.

- L'église de Bouges-le-Château est un édifice néo-gothique composé d'une nef unique, séparée d'une abside semi-circulaire par une travée voûtée d'ogives sur laquelle s'ouvrent deux chapelles latérales.

Charly écoute avec attention. Il ne connait pas tous les termes techniques, perdu dès que l’édile a parlé de néo-gothique, mais il admire un long moment le clocher et son toit en ardoise. Une belle hauteur.


Raoul tapote la pierre. Charly, lui, lorgne le paysage un long moment, à côté la petite place avec son monument au mort et le château de l’autre côté de la route. On y est tranquille, pas de voitures, pas d'ouailles non plus.

- D'après le Préfet, on pourra faire la messe dimanche prochain, mais attention, pas plus de vingt croyants et avec plus d'un mètre d'écart ! Pas d'hostie à la bouche.

Il énumère de mémoire, plisse les yeux pour se souvenir de tout ce que le cabinet de la préfecture a pu lui radoter.

Les regroupements, c’est la hantise, encore plus, quand ils sont religieux ! Surtout depuis celui qui s'est déroulé du côté de Mulhouse, en janvier dernier, plus de deux mille paroissiens se sont retrouvés, lançant certainement la plus grande vague de contamination dans le pays. « Ils venaient des quatre coins du pays en plus ! » Il n'en revient toujours pas le maire.

Il soupire comme à son habitude.

Peiné, comme il dit. C’est le bon dieu qui nous punit de toutes nos conneries ! On a tué son œuvre.

V'là qu’il devient gogo.

- Bon ! C'est pas tout ça ! Qu'il sursaute en lorgnant sa tocante.

Raoul doit s’exciter, il est attendu par sa femme pour manger…

- Puis elle est inquiète, qu'il ronchonne.

Elle dit que je ne devrais pas être dehors. Faut dire Raoul est « population à risque », bien plus de soixante ans, de l'hypertension, du cholestérol, un peu de diabète et beaucoup de goutte, des rhumatismes qui vont jusqu'à l'empêcher de marcher certains matins, faudrait pas non plus qu'il choppe cette merde !

Il se marre.

Même le toubib dit qu'il ne mourra pas de tout ça ! Mais c'est l’ennui qui l'emportera. Déjà quatre mandats de maire, presque autant de conseillers municipaux, il a tout vu, tout fait dans le bled !

Il dégaine un trousseau de clef imposant. Toutes les serrures de la commune n'ont qu'un maître! Il cherche, ne trouve pas la « grosse », qu'il ronchonne après ! Sort un autre trousseau, il se perd un moment.

Derrière, une voiture ralentie, une Smart rouge, ce genre de bagnole ridicule à l'élégance de pot de yaourt. Coup de klaxon !

- Ah ! Monsieur le conservateur ! Qu'il lance, à l'autre qui fait signe.

Le patron du château qui file se calfeutrer. Il ne s'arrête pas. Charly tente de retenir tous les noms, toutes les tronches, parmi eux, il y a Garry.

Son contrat.


Pour le moment, cela se brouille. Il a croisé beaucoup de monde, tente de passer pour un curé sans trop éveiller la curiosité. Ce qui n'est pas gagné.

- Je l'ai !

Raoul tend la clé ! Elle est énorme, en acier trempée, difficile de la perdre celle-là. Il passe devant.

- Vous allez voir, c'est plutôt bien entretenu, on a fait le point avec le diocèse, il y a de cela quelques mois, avant que l'autre curé… Il bute. Puis change de sujet : Les vitraux sont issus de divers ateliers. Les plus anciens ont été réalisés par la maison Lobin, de Tours (1863), tandis que Charles Lorin, de Chartres, a signé deux vitraux du chœur (1903). On relève également la présence de deux œuvres de Carl Mauméjean, qu’on date du milieu du 20ème siècle. Il récite, par cœur, s'applique, marque même des temps pour donner des dates.

Enfin, la nef est ornée d'un ensemble anonyme de six verrières, non datées.

Raoul marque un temps, doit attendre des applaudissements. Charly n'écoutait pas. Lui s'arrête sur un autre détail.

Une trace blanche sur le palier.

Puis au moment d'enfoncer la clé… le maire semble étonné.

- C'est ouvert… il enfonce la poignée, pousse la lourde porte en bois brut vernis.

Mais avant même que de passer un premier pas, Charly lui demande de reculer.

- Attendez, il chuchote. Pose le doigt sur ses lèvres. Demande à Raoul de rester à la porte. Lui ouvre à peine plus, il se faufile dans l’entrebâillement, commence à se glisser. Longe le mur froid, devant lui deux travées de bancs, l'autel est éclairé naturellement de trois superbes vitraux au fond, sous la fameuse nef. L'église est certes petite mais splendide. Un grand crucifix est dressé sur un pied, deux voutes, une de chaque côté, permet de s'isoler. Il croit y avoir perçu un bruit, une silhouette aussi.

Raoul lui n’a rien vu, ne comprend rien à la manœuvre du pseudo curé. Mais il reste bien planqué au fond.

Charly passe le long du mur, se glisse sans difficulté vers les premiers bancs de bois. Il passe doucement, jusqu'à un craquement…

La porte de la sacristie au fond.

Du monde !

Planqué sous l’une des voutes !

- Oh ! Qu'il beugle. Alors que deux silhouettes rapides tentent de se barrer par là.

Charly a le temps de prendre le missel épais, le dégainer de sa poche, viser mécaniquement le deuxième. Et lui éclater le bouquin en pleine poire.

L'autre, le premier, arrive à se glisser dans la sacristie. Laissant son camarade étalé au sol, à moitié sonné.

Il va pour se redresser, met quelques microsecondes à retrouver ses esprits. Il n'est pourtant pas assez rapide pour éviter le deuxième coup du curé.

Charly lui tombe dessus comme la maladie. Va pour lui agripper les épaules, le plaquer au sol. Mais le gars balance sa jambe. Cherche à lui éclater un coup dans l’entre jambe. Le pseudo curé l'évite de justesse. Lui balance une belle torgnole en pleine face. Le bruit sourd résonne sous la nef, puis d’un coup, le redresse.

Charly est un bœuf, habitué à la baston.

Des années à la légion, l'art du combat rapproché, le corps à corps, il a l'expérience et surtout n'a pas peur de taper quand il faut taper.

Il lui balance d'ailleurs une deuxième claque. Sa paluche en forme de battoir aurait tendance à calmer rapidement les plus récalcitrants.

Le récalcitrant s'écroule sur le carrelage foncé. Il bouge à peine, chouine, cache son visage déjà bien amoché. Il a peur de se prendre une nouvelle rouste. Il saigne pas mal. Le coup lui a certainement dévié la cloison nasale,

Charly ne cherche même pas à suivre l'autre. La porte de la sacristie qui donne sur l’extérieur est ouverte. Le complice est trop loin.

Pas grave !

Le voilà qu'il redresse celui au sol, lui dégage le visage et découvre alors un gosse, un adolescent, seize ans tout au plus.

- S'il vous plait monsieur, s'il vous plait… gémit le grand dadais, le nez en choux fleur.

- Qu'est-ce que… Il n'en revient pas de l’âge du mec. Il le renifle, commence à comprendre.

Une bouteille par terre, du rhum visiblement, les gamins venaient pour picoler tranquille.

- Pitié monsieur, pitié on n'a rien fait, on n'a rien fait…

Les yeux inondés de larme, l'haleine bien chargée.

Charly desserre sa prise, le laisse tomber.

- Allez dégage. Dégage !

Le gosse, le visage en sang, la mâchoire cabossée, la joue bien rouge, ne se fait pas prier. Il a pris une bonne leçon, il n'y reviendra plus. Il décampe lui aussi par la petite salle et laisse la porte ouverte sur le champ de coquelicots…

- Alors ?

Raoul approche, courageux mais pas téméraire. Il a loupé le combat du siècle. Charly ramasse son missel. Il est en état, solide ! Il a juste perdu quelques pages qu'il recollera avec du ruban adhésif.

- Des gosses… il fait, des gosses, il prend la bouteille et en avale une bonne lampée.

Il lui faut peu de temps pour se remettre de ses émotions, qu’il reprend.

- Cela fait un bout de temps qu'il n'y a personne. Les gamins doivent squatter régulièrement… Il s'est passé quoi, au juste ?

Raoul parait surpris, le diocèse ne lui aurait rien dit ?

- Vous ne savez pas ?

Le curé est mort !

On l'a retrouvé mort il y a six mois…

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