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Confinés... avec Jérémy Bouquin #6

la-bouinotte


C'est le moment de feuilletonner...

L'auteur berricho-tourangeau Jérémy Bouquin l'a bien compris et vous entraine dans un polar sombre, en temps réel.


 

Un feuilleton polar, créé spécialement pour le Confi-blog de La Bouinotte… C’est le pari, avec ce roman noir planté du côté de Levroux, dans l’Indre, dont il va nous livrer un épisode chaque jour.


Pas de titre pour le moment. A vous de trouver !! On attend vos propositions sur notre mail : la-bouinotte@orange.fr, ou sur les réseaux sociaux de La Bouinotte.

Jérémy Bouquin
Autodidacte, réalisateur de  courts et moyens-métrages, Jérémy Bouquin est auteur de romans  policiers, nouvelles noires. Il a participé à deux recueils de nouvelles  black Berry, éditions La Bouinotte. Sous l'alias Jrmy, il est scénariste de la Bd polar Le Privé. Mais dans "la vraie vie", Jérémy est  travailleur social.

Son site : http://jrmybouquin.free.fr


 

Épisode 6


- Notre garde champêtre !

Une grosse bonne femme, des paluches énormes, un masque sur le visage en toile. Un air suspicieux quand elle voit apparaitre le fameux curé. Elle ronchonne, la fliquette des campagnes, elle le reluque un bon moment.

Même si l’habit ne fait pas le moine, ce pèlerin-là fait vraiment pas curé. Comme tout le monde, elle s’imaginait un autre type de bonhomme, moins… cabossé.

Charly tente de la rassurer, il tend sa pogne, va pour lui serrer la paluche. L'autre recule d’un bon et exulte :

- On se sert pas les mains !

Covid ! Gestes barrières !

Elle rappelle qu’il faut mettre une distance de sécurité, tousser, expectorer dans son coude, se laver les mains… elle conclue presque la main sur le cœur, reprenant ce qu’à dit le chef d’état :

Nous sommes en guerre.

Okay…

Charly fourre ses mains dans sa poche. C’est Raoul, le maire, qui doit détendre l’atmosphère.

- Le nouveau curé !

- Charles… Père Charles.

La fliquette commence à râler : on ne lui avait pas parlé d'un nom comme cela, elle attendait un type plus… elle cherche dans le peu de vocabulaire qu'elle a : un type bronzé quoi ! On lui avait parlé d'un Isidore !

- Vous avez vos papiers ? qu’elle lance, tenace.

Clarisse… Raoul trouve que là elle en fait trop…

- Monsieur le maire, nous sommes en…

- Je sais, je sais… mais nous devons accueillir notre curé avec soin ! Il ordonne.

Il monte le ton suffisamment pour la calmer momentanément.

Puis Charly en rajoute une louche :

- Je suis de passage, je fais l'intérim… il bredouille.

- L'intérim ?

Elle est encore plus étonnée, la garde-champêtre. En bon limier, elle enregistre mentalement tout ce qu’il dit, elle ne manquera pas d'interroger les autorités sur ce drôle de zig qu'est ce curé, en temps et en heure.

Derrière, le petit-fils piétine, il se faufile pour mener le Père Charles à sa mère. Les derniers sacrements. Elle est…

- Elle a passé la nuit… L’infirmière, comme le médecin pensait qu’elle nous quitterait il y a trois semaines, mais elle tient. Serge est là aussi…

- Serge ?

Le vieux du bois, l’expert en champignon, se remet Charly.

La porte s’ouvre sur une petite pièce sombre, les volets fermés, le rideau épais tiré, il y fait très chaud, une petite musique sonne. Une opérette.

Y’a comme une douce odeur de vanille qui flotte dans l’air, étonnant, on ne s’attendrait pas à cela, surtout dans ce genre de moment.

Un lit double tient presque toute la place, une femme filiforme est allongée sur le dos. Pas de machine, une série de perfusion qui pendent au-dessus du lit, elle grogne.

Serge est assis devant elle. Une chaise en bois brut est là pour les visiteurs.

- Il est là justement, chuchote le vieux au clopiot.

Suzanne.

On lui a dit son prénom. Il s’approche.

Une centenaire, les traits foncés, le teint cireux, à bout de force, sa peau tachetée, détendue sur des articulations gonflées, squelettique. Elle n’arrive plus à manger, elle n'en éprouve même plus la nécessité. Elle a les yeux ouverts, elle semble heureuse de voir le curé. Une larme coule quand elle le voit devant lui.

- Barrez vous ! Qu'elle soupire à l'assistance.

Elle a du caractère aussi, elle inspire profondément… Elle lui demande de poser son cul, là… Serge lui lâche une bise sur le front. Elle apprécie. Lui sourit.

Ils finissent par les laisser.

Charly, alors assis face à la vieille, reste un long moment, il ne sait ni quoi faire, ni quoi dire. Il se sent tout simplement inutile.

- J'en peux plus mon père…

A voir la tremblée de médicament qui traîne, elle souffre. La maladie, la vieillerie, cette saloperie de fin qui ne vient pas.

- Je ne sais vraiment pas comment… Qu’il lui lance, ennuyé.

Elle lève la main, s’en cogne.

- L’autre curé aussi était un couillon ! Elle se marre, elle lui montre alors la table basse. Dans le tiroir… au fond.

Fourrée entre deux trois bricoles, des papiers, un tube de rouge à lèvre, un petit miroir, il y a une pipe minuscule, le tube en cuivre, et le foyer dans un bois qui semble précieux, un briquet, un BIC plastique bleu et un petit sachet avec une poudre brune.

Charly hésite.

Elle veut qu’il allume. Qu’il tire… Cela ne peut plus lui faire de mal…

- Ça va dehors ? qu'elle demande avec beaucoup d’effort.

Charly tasse la pipe, trouve le foyer encore chaud, allume avec le briquet. L’odeur de vanille se diffuse. Il lui tend.

- Je crois. Il tousse alors, c’est costaud comme truc.

- Et le virus ?

Elle parle du Covid.

Elle en a entendu parler. Elle le sent même.

- Il est encore loin, pas sûr qu'il arrive dans le Berry, un coup à se perdre ! Elle lui tend la pipe, il en tire une bonne bouffée. Elle se laisse aller un moment.

- Je suis né en 1918… un 7 avril… l'année de la grippe Espagnole.

Elle sourit, comme si c'était un présage.

- Mon père en est mort. A l’époque, on sortait de la grande guerre… des millions de mort, et cette maladie, cette pandémie qui apparait. Comme un rappel à l’ordre.

Elle pompe encore.

- 50 millions de morts… peut-être plus… elle se souvient comme si c’était hier. Le monde entier touché. C'était les débuts du commerce international, de l’aviation…

Il lui faut beaucoup d’efforts pour parler. Mais le tabac lui donne la force. Elle s’illumine.

- Je suis née d’une pandémie, je vais partir avec une autre. Comme une boucle.

Il ne dit rien. Elle lui fait signe, il peut tirer s’il veut. Il refuse.

- Vous ne ressemblez pas à l’autre curé.

- L’autre ?

- Celui d’avant…

Elle se remet quelques souvenirs, se laisse bercer par ses pensées.

- Vous devez me demander si j’ai pêché… elle lui explique.

- Et alors ? Il lui réplique timidement, vous avez pêché ?

- Je n’ai fait que cela. tous les jours et c’est tant mieux, j’ai aimé vivre, j’en ai profité ! Oh que oui… Elle souffle de plus en plus fort.

Elle tire à nouveau sur la pipe. Laisse échapper un léger nuage de fumée.

- J'en peux plus mon père… j’en peux plus.

Elle râle alors, elle pleure de souffrances, les douleurs reviennent. Charly cherche alors la perfusion, regarde les produits. Il reconnait de la morphine, la dose est à fond.

- Vous n’êtes pas curé… Elle a deviné.

- Et alors ?

- Je vous trouve plutôt sympathique… Vous faites quoi dans la vie ?

Elle demande.

Lui cherche un long moment… Il termine par trouver une définition à un métier qui n’en est pas un : j’aide les gens.

Elle entend.

- Je peux donc vous demander un service…

Dix minutes plus tard, il sortira, laissant la porte ouverte, le visage fermé.

- Alors ? demande le petit fils.

- Elle est partie, qu'il lâche.

- Partie ?

- Morte !

La garde champêtre paraît étonnée :

- Elle semblait encore…

- J'ai lu un passage du bouquin, il montre le missel, j'ai levé les yeux, elle avait la bouche ouverte, le regard dans le vide.

- La Bible, corrige Raoul

- C'est ça ! J'ai prié avec elle, on a parlé… longuement aussi. Elle a dit être heureuse.

Cela semble rassurer le petit-fils. Il est libre maintenant.

Charly inspire profondément. Ses mains tremblent, c’est la première fois qu’il éprouve cela.

Il fourre le missel dans sa poche. Il lance alors au maire : on peut boire un coup dans le coin ?

- C'est confinement dans une heure ! Gronde la fliquette.

- Et alors ? J'ai besoin d'un remontant.


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