Confinés... avec Jérémy Bouquin #4
- la-bouinotte
- 27 mars 2020
- 6 min de lecture
C'est le moment de feuilletonner...
L'auteur berricho-tourangeau Jérémy Bouquin l'a bien compris et vous entraine dans un polar sombre, en temps réel.

Un feuilleton polar, créé spécialement pour le Confi-blog de La Bouinotte… C’est le pari, avec ce roman noir planté du côté de Levroux, dans l’Indre, dont il va nous livrer un épisode chaque jour.
Pas de titre pour le moment. A vous de trouver !! On attend vos propositions sur notre mail : la-bouinotte@orange.fr, ou sur les réseaux sociaux de La Bouinotte.
Jérémy Bouquin
Autodidacte, réalisateur de courts et moyens-métrages, Jérémy Bouquin est auteur de romans policiers, nouvelles noires. Il a participé à deux recueils de nouvelles black Berry, éditions La Bouinotte. Sous l'alias Jrmy, il est scénariste de la Bd polar Le Privé. Mais dans "la vraie vie", Jérémy est travailleur social.
Son site : http://jrmybouquin.free.fr

Épisode 4
- C’est petit mais charmant,
le rassure d’office Gilda avant d’entrer.
Impossible de savoir si c’est l’odeur de javel ou d’humidité qui lui chatouille le plus le nez, mais ses allergies à la poussière et aux pollens se sont d’un coup réactivé !
Charly n’est pas du genre douillé, des lits de camps, des tentes en plein désert, des casernements, il en a vu passer, mais rien comme ça.
Charly dépose son sac dans le hall de la petite bicoque, l’ancien presbytère, converti en gîte. Une pièce de vie, qui fait salon et cuisine, une petite kitchenette en coin, un lavabo, quelques assiettes dépareillées dans un placard, des couverts dans un pot, une boite de conserve, une toile cirée usée qui couvre une table en bois imposante. Des motifs de fleurs passées, jaunis par le temps. Trois chaises et un banc, le canapé fatigué.
En quelques secondes, Charly sent la dépression monter, même dans les pires bouges de la région parisienne, il n’avait eu droit à un décor aussi pittoresque et aussi champêtre. Ce n’est plus de la mélancolie qui l’attend, mais la grande dépression.
- Derrière, la chambre et la salle de bain toilettes…
Elle ouvre la porte, le lit est aligné en plein centre d’une salle pas plus grande qu’une…
- Cellule ! Vous devez être habitué !
- Comment ?
- Les cellules ! Comme dans les monastères ! Elle le fixe droit dans les yeux, méfiante, presque cynique, elle ne le sent pas, ce curé de campagne, Gilda.
Le fameux curé passe devant, trouve une pile de draps, un coussin épais à plume (il est aussi allergique à ce genre de garnitures) une armoire imposante en bois massif, vernis d’une couche épaisse et noire. Pas de fenêtre, tout juste une lucarne qui donne sur la route, justement.
Il ouvre le carreau, tente de voir.
La salle de bain est tout aussi austère, un chiotte récent a été installé. La douche est prisonnière d’une baignoire sabot. Les joints sont bien noirs, le silicone se détache dans les recoins. Deux cents balles pour un taudis, bouffé par les punaises de lits et les cafards !
Sûr.
Il soupire. Du bois partout, du sol au plafond, manquerait plus qu’il y ait des termites.
- Il y a du sel et du poivre, dans le placard, un reste de moutarde, pour faire les courses, vous avez une petite supérette, sinon, va falloir monter jusqu’à Levroux, mais avec le confinement demain, c’est pas facile. Parait que le Auchan s’est fait dévaliser.
Là aussi…
- C’est bon pour vous ? Elle lui tend deux clés, une pour la porte d’entrée, l’autre pour la porte derrière qui mène vers la petite cour.
- Merci.
- On ne fume pas dans le gite, elle prévient.
Il comprend.
Elle attend un moment, le voit qui cherche ses marques, le curé parait fatigué, un brin désabusé.
- Vous avez faim ? elle finit par lui demander.
Il n’y avait même pas réfléchi, il hésite.
- Il me reste du poulet et des pommes de terre sautées de midi, puis dimanche j’ai fait une tarte aux pommes. Maison ! Elle précise.
Il refuse tout compte fait, même si la proposition est alléchante.
- Vu la situation, on a des réserves, je fais mes conserves, j’ai de quoi nourrir un régiment à la maison, vous venez, et je vous fais un prix ! Elle ne perd pas le nord.
- Le petit-déjeuner est inclus dans le forfait, vous traversez la rue, j’habite en face. Huit heures ? Cela vous convient ?
Il accepte, précise qu’il boit du café avant même qu’elle lui pose la question.
Elle va pour partir avant de se retourner une dernière fois : le silence… vous allez certainement être surpris par le silence.
Elle claque la porte et disparait.
Charly prend le temps d’ouvrir son sac, de sortir les deux Glock extra plats qu’il planque entre ses caleçons. Il les sort des torchons bruns et gras, pour en vérifier les chargeurs, trois pour chaque calibre.
Pas de silencieux.
Deux flingues dégottés auprès d’un roumain de la place des Libertés dans le douzième arrondissement, son fournisseur régulier, numéros de série limés, les bastos sont fabrication maison. Aussi.
Le temps d’en planquer un sous le matelas à ressort du lit, et l’autre… il cherche… il cherche, pas possible de se balader avec son attirail visible. Puis, si la patronne passe pour faire le ménage, ne faudrait pas que lui vienne l’idée de fouiller son sac et de découvrir la quincaillerie. Au-dessus de l’armoire, à voir les bouloches de poussière, Gilda, n’est pas la ménagère du siècle!
Ok.
Il dépose son sac au pied du lit, inutile de s’installer. Il trouve un paquet souple de clopes, des blondes et s’allume une Camel qu’il fume au rebord de la minuscule fenêtre.
Dehors résonne la télé.
« Toutes les personnes qui circuleront devront être en mesure de justifier leur déplacement. Chaque personne, pour chaque déplacement, devra se munir d’un document attestant sur l’honneur le motif de son déplacement. Cette attestation sera obligatoire. Elle sera téléchargeable en ligne sur le site du ministère de l’Intérieur, annonce le ministre Christophe Castaner. Les mesures pour réduire nos déplacements et contacts au strict nécessaire ».
À partir de mardi 17 mars 2020 à midi, jusqu’au 31 mars 2020 « au moins ». Il pose un temps avant de reprendre « nos déplacements seront très fortement réduits ». Il précise avec application qu’il ne sera plus possible de « retrouver des amis dans les parcs, dans la rue » et qu’il faudra « limiter ses contacts au-delà du foyer » « Partout sur le territoire français, seuls doivent demeurer les trajets nécessaires : aller faire ses courses, se soigner (pharmacie), travailler (quand le travail à distance n’est pas possible) ». Il sera possible de faire du sport seul « Faire de l’exercice physique uniquement à titre individuel, autour du domicile et sans aucun rassemblement » et conclue dans un soupire long : « Toute infraction à ces règles sera sanctionnée », a précisé le président, qui a ajouté qu’il y aura des « contrôles ». L’armée sera « mobilisée ».
La messe est dite.
V'là la galère qui continue. Ce n'est certainement pas le bon moment pour se lancer dans une chasse à l’homme.
Charly s’est posé sur le lit. Trop mou. Pas de bruit dehors, le fameux silence. Angoissant. Il a fait son lit au carré, tendu des draps, cherché à s’endormir. Il est minuit. Gronde alors dans la rue une voiture qui passe.
Elle repassera, une heure plus tard. Un utilitaire. Plaque d’immatriculation parisienne. Si cela veut encore dire quelque chose… Charly fume sa troisième clope. Impossible de fermer l’œil.
Sortir ?
Il ne se voit pas se rhabiller. Il est bien à poil, il prend l’air. Attend.
Il ne dormira qu’à partir de cinq heures, il se réveillera sous le chant d’un coq asthmatique. Un rapide passage sous la douche. Il piétinera jusqu’à huit heures. Là, il ferme son cloaque et va frapper en face.
Petit-déjeuner. Gilda l’attend. A voir la mine du curé, elle devine qu’il a fait la fameuse “angoisse du parisien”. Elle se marre intérieurement.
Du miel de pays, de la confiture de pays, du pain… congelé. Elle n'a pas eu le temps d'en faire… le boulanger est fermé.
- Vous avez bien dormi ? elle se moque. Elle lui propose un bol et le pichet de café noir. Elle s’installe en face, elle va déjeuner aussi.
Il grogne un moment.
- Vous êtes curé depuis longtemps ?
Il ne répond pas vraiment, avale une bonne rasade de café, grogne une réponse, inaudible.
Pas de col, pas de croix…
- Vous n'avez pas de…
- Je suis en civil.
On frappe à la porte. Un homme, grand, bien excité qui cherche alors. Gilda tente de le retenir, mais il veut rentrer.
- Raoul ! Qu'est-ce que…
- Il paraît qu'il est là !
- Mais…
Il arrive à passer, trouve Charly. Le curé !
- Je vous cherchais justement… je vous cherchais… Un souci : faut donner les derniers sacrements.
Passionnante histoire , j'y reviens avec plaisir ! bon dimanche . Merci. Eliane