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Confinés avec Jérémy Bouquin #26

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C'est le moment de feuilletonner...

L'auteur berricho-tourangeau Jérémy Bouquin l'a bien compris et vous entraine dans un polar sombre, en temps réel.


 

Un feuilleton polar, créé spécialement pour le Confi-blog de La Bouinotte… C’est le pari, avec ce roman noir planté du côté de Levroux, dans l’Indre, dont il va nous livrer un épisode chaque jour.


Pas de titre pour le moment. A vous de trouver !! On attend vos propositions sur notre mail : la-bouinotte@orange.fr, ou sur les réseaux sociaux de La Bouinotte.



Jérémy Bouquin
Autodidacte, réalisateur de  courts et moyens-métrages, Jérémy Bouquin est auteur de romans  policiers, nouvelles noires. Il a participé à deux recueils de nouvelles  black Berry, éditions La Bouinotte. Sous l'alias Jrmy, il est scénariste de la Bd polar Le Privé. Mais dans "la vraie vie", Jérémy est  travailleur social.

Son site : http://jrmybouquin.free.fr

 


Épisode 26



En France, la crise du coronavirus a éclaté.

Des mesures destinées à diminuer sa propagation ont été prises par le gouvernement. La population a été invitée à diminuer fortement ses déplacements tandis que les commerces « non essentiels » ont été fermés.

Pour parler de la situation actuelle, Anne-Sophie Lapix recevait Édouard Philippe, dans le JT de France 2. Au cours de cet entretien, le Premier ministre s'est livré à une séance de questions-réponses avec les internautes. Et l'homme politique a dû répondre à une question délicate posée par Gaëlle, téléspectatrice du service public :

« Un ami est décédé il y a 48 heures. Avons-nous le droit de nous rendre à son enterrement ? »

Ce à quoi le premier ministre a répondu :

« Ce que je vais dire est terrible à entendre, mais je me dois d'être à la hauteur des fonctions que j'occupe, et donc je vais répondre non... » a-t-il expliqué en rappelant la gravité de la situation. « Nous ne devons pas... »

 

Justement, c’est dimanche

et on s’apprête à célébrer les funérailles de Suzanne, la centenaire.

Une douzaine de personnes sont là. Il fait un beau soleil.

Rien qui ne permette de croire que le pays entier est confiné à la maison.


Un petit cimetière communal pas loin de l’allée Crève-cœur qui donne sur l’allée Jean Moulin, à l’écart du village. Le petit fils ne souhaitait pas de cérémonie à l’église. Il a cherché surtout à donner un dernier hommage au cimetière.

Charly est là.

Costume noir. Pas de soutane, pas d’écharpe de couleur mauve, comme ses collègues curés pourraient les porter dans ce genre de cérémonie. Il a retiré son béret, ouvert sa veste sur une chemise noire. Les chaussures en cuir cirées.

Personne n’a paru surpris de le voir la tronche abimée, les sutures fraîches, les yeux gonflés par les cocards, les commissures des lèvres gercées par les brûlures. Les mains tremblantes, il a rapidement salué les autres.


C'est Raoul, le maire, qui mène la cérémonie dans un étrange climat. Le petit fils est à côté, en face quelques villageois parmi les plus illustres. La Jacotte et Émile, les aubergistes. Elle, apprêtée d’une petite voilette noire, qui renifle dans son mouchoir en tissu blanc, elle a les lèvres très maquillées d’un rouge vif. Émile porte une veste trop courte, comme son pantalon, sa cravate de biais, il est au bras de sa femme effondrée.

A côté Clarisse, le bras en écharpe, un costume parfaitement repassé, une casquette sous le bras, elle fixe droit dans les yeux le curé. Charly ne sait quoi penser. Si la garde champêtre est en colère ? heureuse de le voir ? ou juste ennuyée ? Elle ne bronche pas. Elle ne lui adressera même pas la parole. Pourtant, elle n’a rien lâché à ses camarades de basse-cour, le procureur se fiera aux conclusions du peloton de pandores et classera l’affaire sans suite.

Il y a encore Serge et son clope qui fume, accroché à sa canne, habillé comme tous les jours avec sa cotte bleu électrique, ses gros godillots. Même Gilda a fait le déplacement, laissant Jérôme à la maison. Elle a radiné avec le curé. L’affaire fait déjà jaser tout le village.

Tout le monde sait, personne ne dit rien ouvertement.

- Merci à tous d’être venus, lance Raoul. On est là pour accompagner Suzanne jusqu’à sa dernière demeure, il s’adresse à la petite foule, le soleil dans les yeux. C’est un peu la mémoire de la commune qui s’efface encore. La Suzanne, elle vivait dans le village depuis plus de quatre-vingt ans, elle a bien tenté de monter jusqu’à Châteauroux pour y faire quelques études, et y vivre un peu, mais très vite, le mal du village l’a rongée, elle est revenue. Tantôt coiffeuse - et on en aurait bien besoin en ce moment, depuis qu’avec le confinement on ne peut plus y aller...

- Il coupe cela détend un peu la foule. Il se reprend, soupire profondément.

Il retient ses larmes Raoul, lui qui enterre plus qu’il ne marie, un maire qui voit le nombre de villageois, de ses concitoyens, diminuer d’année en année. -

- ... Un temps secrétaire comptable, tu nous as tous connu Suzanne. Ta cuisine était immonde, tes gâteaux infectes.

- On éclate de rire -

- Tu as été une femme généreuse, toujours souriante, blagueuse, avec Jeannot ton défunt mari que tu as rejoint...

- Il s’adresse au cercueil au fond du trou, légèrement encaissé, la dalle de béton a été redressée par un cantonnier planqué dans un recoin. Le gars, un petit gros en marcel attend, sa pelle en pogne. Prêt à passer les blocs de ciment pour fermer l’ensemble.

Raoul se reprend à nouveau, sa voix tremble de plus en plus. -

- Plus de cent ans et voilà... c’est terminé, un jour de silence, de confinement ! Si tu voyais... le monde qui se ferme, la maladie qui galope, les gens qui pleurent... Non, il ne vaut mieux pas. Tu es partie.

Au-revoir ma Suzanne.

Il sort une petite rose de sous ses bras et la dépose sur le bois. Il se tourne vers Charly. Il a besoin d’une parole d’un homme de Dieu, ou presque, c’est ce qu’il lui a imploré de faire. Juste dire un mot, pour calmer la peine.


Charly a accepté de passer le col une dernière fois, de jouer la comédie comme depuis le début de la semaine. Il s’approche, le missel en main.

L’assemblée le regarde se positionner, lui cherche des mots, et pour commencer… il ouvre le missel et bloque un moment... Il lit quelques phrases.

- Père Charles... Raoul tente de le motiver, il faut dire un truc là !

Tout le monde le regarde.

Il hésite.

Il ferme le missel et lance :

Suzanne, lors de tes derniers mots sur cette terre, tu m’as expliqué être née de la colère... D’un monde qui sortait de la grande guerre, qui découvrait la maladie, la grippe espagnole puis la crise. Un monde où même Dieu n’avait pas sa place. Il inspire : J’espère pour toi, qui croit, l’avoir trouvé. Ce Dieu ! J’espère.

Il n’a pas d’autres mots que celui d’un agnostique. Charly n’a jamais cru, alors la comédie le ronge encore plus quand il s’agit d’être sincère.

Raoul, pour donner le change, lance un « Notre Père... » plaintif. Tout le monde suit, la cérémonie se termine sur le cercueil qui s’enfonce dans la terre, porté par Émile et Charly qui tendent les sangles. On y jette les dernières poignées de terre, signe de la croix la défunte.

Amen.

- Merci mon père.

- Charly, corrige le tueur, qui alors tend son col romain au maire. Il refuse de mentir plus longtemps.

- Vous allez partir ? Continue le maire. Vous n’étiez pas si mauvais curé ! Il le taquine.

Charly préfère ne pas répondre, il voit Gilda qui rentre, suit le reste du troupeau qui marche jusqu’au bled.

- Je peux vous demander un dernier service ? Avance Charly à tout hasard.

 

- C’est bien un numéro de boîte postale, celle de l’église.

Des inscriptions dans le missel, mais surtout en page de garde, une série de chiffres, Charly a tout de suite compris. CP. Cela tombait sous le sens.

Le temps pour Raoul de lui trouver la clé de la poste et de lui proposer de l’accompagner.

- Je vais aller tout seul.

Il préfère le tueur, ne sait pas réellement ce qu’il va trouver là-bas. Raoul demande juste à ce qu’il lui rapporte les clés en main propre. Ce sont aussi celles de la mairie.

Charly a donc trouvé le fameux coffre, barré d’un cadenas à code. Une série de huit chiffres comme tous les autres coffres.

Le numéro sur la page de garde en dessous du numéro de coffre est le bon.

La porte s’ouvre.

Une pochette, dedans, un téléphone. Le téléphone... celui qui a permis de localiser Garry.

Le curé... c’était Garry.

Le curé...

Le téléphone, les codes... Il n’a pas le temps de prendre le téléphone que Charly sent dans son dos un tube froid. Un canon qu’on lui colle dans la nuque : « Bouge pas curé ! »

Cette voix, l’odeur du tabac aussi, c’est celle de Serge.

- Bouge pas ou je te grille le caisson !


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