Confinés avec Jérémy Bouquin #24
- la-bouinotte
- 24 avr. 2020
- 5 min de lecture
C'est le moment de feuilletonner...
L'auteur berricho-tourangeau Jérémy Bouquin l'a bien compris et vous entraine dans un polar sombre, en temps réel.

Un feuilleton polar, créé spécialement pour le Confi-blog de La Bouinotte… C’est le pari, avec ce roman noir planté du côté de Levroux, dans l’Indre, dont il va nous livrer un épisode chaque jour.
Pas de titre pour le moment. A vous de trouver !! On attend vos propositions sur notre mail : la-bouinotte@orange.fr, ou sur les réseaux sociaux de La Bouinotte.
Jérémy Bouquin
Autodidacte, réalisateur de courts et moyens-métrages, Jérémy Bouquin est auteur de romans policiers, nouvelles noires. Il a participé à deux recueils de nouvelles black Berry, éditions La Bouinotte. Sous l'alias Jrmy, il est scénariste de la Bd polar Le Privé. Mais dans "la vraie vie", Jérémy est travailleur social.
Son site : http://jrmybouquin.free.fr

Épisode 24
Rien n’est plus caractéristique que le chant d’une rafale de
kalachnikov qui tape sur une carlingue de bagnole !
Plus de quatre-vingt bastos dans chaque chargeur, du 7.75 qui vient fracasser la taule, dans une mélodie saccadée, métallique et sourde. L’odeur de la poudre noire qui s’en échappe, celle des flammes qui crépitent au gré des déchainements mécaniques du percuteur.
Jamais fusil mitrailleur n’a chanté mieux qu’une kalachnikov, réputée fiable, solide comme un bloc constitué d’acier et de bois, des années qu’elle est construite en série, complètement démontable par une enfant de cinq ans, résistante aux intempéries, la pluie battante, comme les sables rouges du désert. Rien ne pourrait l’empêcher de chanter.
Calibre préféré des cités, bon rapport qualité-prix, des guns venus tout droit de l'Est, des Balkans, numéros élimés, la kalachnikov peut avoir mille vies, de la guerre, aux attaques de camion blindé, en passant par le règlement de compte en bas dans les cages d’escalier, la guerre au Sahel et le djihad…
Toute cette histoire, elle aurait pu en profiter, Clarisse…
Mais elle est arrivée trop tôt, piégée dans un déluge de rafale.
Les balles qui perforent de toutes parts la carlingue, les banquettes déchiquetées, le tableau de bord qui s’ouvre, éclate sous les projections, impossible pour la garde-champêtre de sortir, de se faufiler entre les sièges, elle est coincée au plus profond de l’habitacle, entre les pédales, enfouie dans moins d’un mètre carré, roulée en boule, à hurler à la mort, chercher de l’aide, impossible de penser à son téléphone, terrorisée, les mains plaquée contre les oreilles, les yeux fermés.
Elle prie.
Implore, hurle de temps en temps, ce qui en réalité ne va durer qu’une trentaine de secondes, va lui sembler une éternité !
Un moment où viendront se percuter des souvenirs, l’images de ses parents aimants, l’idée de mourir, l’idée de souffrance… Clarisse s’est abandonnée alors à l’idée que son dernier quart de seconde était arrivé.
Jusqu’à ce silence…
Les murmures, ceux des hommes dehors, qui s'organisent, certainement pour approcher… Un pas, sur le gravillon, puis un autre, plus rapide, un type qui court autour de la voiture, le chien, le pitbull qui se met à hurler encore.
Un autre gars, une voix plus fluette qui s’agace : « Stupide ! Vous êtes complètement tarés ! Elle n’a rien fait ! On n’aurait pu parler ! »
La police !
La police !
Une garde-champêtre ! Ils s'embrouillent. Pendant qu’une silhouette avance. Passe rapidement devant le pare-brise, tente de voir, avant de se rabattre. Il la cherche.
- Oh !
- Quoi ?
- Elle est où ?
Il tente de passer le nez, se méfie tout de même, le chien jappe encore. Jappe de la même manière que tout à l’heure.
La poussière s’échappe, l’odeur de poudre aussi.
- Junior ! Ta gueule ! Braille Tiny après son chien ! Junior, le clébard continue pourtant, il s’affole, il sent autre chose.
Clarisse s’enfonce encore plus, elle cherche à savoir si elle saigne, si elle a été touchée, miraculeusement, elle n’a que des coupures, le visage griffé par les éclats de verre, le front ouvert, les mains avec des doigts tordus, une douzaine de côtes enfoncées .
Elle tente de sortir son calibre, un Manurin, un 22, rien à voir avec la puissance de feu qui se dégage de dehors, mais, elle cherche à se défendre, Clarisse, se tord.
- Je la vois ! hurle le gars, je la vois, il dresse le canon, va pour lui filer une rafale histoire de la terminer.
Avant qu’un coup de feu lointain éclate.
La cervelle du gars gicle, lâchant le gros de sa gerbe sur le visage de Clarisse. Abasourdie. Il s’écroule ; le pitbull n'aura pas le temps de japper plus, qu’une série de rafale répliqueront en direction du sous-bois, puis de la ferme, puis des voitures.
- C’est quoi ?
- Un gars… j’ai vu un gars ! Beugle un type au fond.
Les voilà qui galopent comme des cabris, cherchent à se tasser derrière leur bagnole, Clarisse entend défiler tout un tas de pas, avant de comprendre qu’au lieu de se regrouper pour former un bloc, ils ont fait l’erreur d’aller se tasser chacun dans leur coin.
- Là !
Ils croient l’avoir repéré. Ils tirent tous, dans la même direction, une bonne trentaine de secondes le temps de vider leur chargeur. Puis se tassent à nouveau.
- Économisez vos balles ! braille Bonnet rouge, le chef de la meute.
- Quoi ?
- Économisez vos…
BAM ! Un nouveau tir, plus proche. Le même flingue, plus sourd. Il claque plus qu’il n’aboie.
Un type hurle, et tombe alors.
- Il est touché ! Merde ! Il est touché.
- Va le chercher !
- Mais il va me tirer dessus!
- Va le chercher
L’autre hurle à la mort, il se traine au sol…
- Non !
Le blessé braille encore plus. Il souffre comme jamais.
- Va le chercher ! ordonne une dernière fois Bonnet rouge.
L’autre, son pote, balance une rafale à l’aveugle, va certainement pour courir, le tirer de là, le corps étalé en plein milieu de la cour…
BAM !
Il tombe. Pas de hurlement, juste un souffle, puis le blessé qui gueule comme un putois, son pote vient de se prendre une balle pleine tête.
Bonnet rouge qui va pour se dégager, braquer à son tour l’arrière de la grange. Il tire.
BAM !
Il tombe.
Les autres deviennent fous ! Ils se mettent à tirer de partout, sans chercher à comprendre, certains doivent toucher leur pote, l’odeur de poudre monte, attaque les yeux, impossible de reconnaître le bruit des armes, des jappements du chien, des corps qui tombent, la colère devient folie, la peur fait parler la rage.
Puis le silence est revenu.
Un long silence, plus long que le précédent. Clarisse qui comprend…
Le paradis ? La mort ? L'enfer ?
Non, la réalité, elle lève le nez de son habitacle, découvre la poussière, le brouillard de la terre soulevée, les premiers traits du décor, celui de la grange en feu, des corps allongés, des marres brunâtres de sang.
Au loin, un homme, impossible de savoir qui. Il s’approche d’un cadavre, le tourne du pied. Le macchabée roule. Il le fouille du canon, tire sur le tee-shirt… La racaille fromagère, visiblement, il est mort.
Un flash crépite, l’autre au flingue, fait une photo, puis une autre. Il titube, lève alors le canon. Il entend un bruit.
- Guillaume ! Il souffle. Guillaume. Clarisse croit reconnaitre cette voix, elle va alors pour sortir, elle va pour lui prêter main forte, elle a bien compris qu’il venait de la sauver.
« Attendez ! Attendez ! »
Elle tente de dire, sa voix est prise, sa gorge trop sèche, elle peine à marcher, tremble trop, l’émotion, le choc aussi, elle s’écroule la portière alors tape son genou.
« Attendez ! »
- Guillaume ! hurle l’autre, Guillaume Audru !
Un coup de feu résonne, Guillaume est planqué dans la grange, terré, c’est le dernier survivant. L’homme dehors riposte.
Il tire deux fois. Deux tirs tendu :
BAM !
BAM !
Puis l’odeur lui vient, le gaz, un gaz puissant.
Merde ! Il n’aurait pas dû !
L’explosion alors le souffle d’un coup.
La grange éclate d’une belle gerbe bleue et rouge.
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