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Confinés avec Jérémy Bouquin #22

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C'est le moment de feuilletonner...

L'auteur berricho-tourangeau Jérémy Bouquin l'a bien compris et vous entraine dans un polar sombre, en temps réel.


 

Un feuilleton polar, créé spécialement pour le Confi-blog de La Bouinotte… C’est le pari, avec ce roman noir planté du côté de Levroux, dans l’Indre, dont il va nous livrer un épisode chaque jour.


Pas de titre pour le moment. A vous de trouver !! On attend vos propositions sur notre mail : la-bouinotte@orange.fr, ou sur les réseaux sociaux de La Bouinotte.


Jérémy Bouquin
Autodidacte, réalisateur de  courts et moyens-métrages, Jérémy Bouquin est auteur de romans  policiers, nouvelles noires. Il a participé à deux recueils de nouvelles  black Berry, éditions La Bouinotte. Sous l'alias Jrmy, il est scénariste de la Bd polar Le Privé. Mais dans "la vraie vie", Jérémy est  travailleur social.

Son site : http://jrmybouquin.free.fr

 

Épisode 22


- Montez !

Le gamin l’a invité à monter sur le toit.

- Quoi ?

- Montez ! Elle arrive !

Une voiture justement tourne au fond de la rue, celle de la garde-champêtre qui tourne dans le secteur, deux jours qu’elle assure des maraudes régulières pour tenir le confinement, contrôler qui erre dans les rues. Pour le moment, elle fait que des rappels à la loi, mais cela la taraude de cartonner ses semblables.

Ras le bol de voir autant de contrevenants !

Puis il y a les corbeaux, les rageux qui lui balancent des messages, divulguent des noms, des passant, ceux qu’ils ont vu « trainer », les voisins qui se retrouvent, des sportifs du dimanche qui se sont découverts une passion inopportune pour le jogging, juste pour sortir, prendre l’air. Au bout de deux jours seulement, la garde-champêtre a vite compris que le temps de l’enfermement serait long, très long.

Le gamin tend alors la main à Charly. Pour grimper, sur la poubelle puis ramper sur le toit. Pas besoin, et surtout encore méfiant, le curé, d’un bon sur le couvercle en plastique enfoncé de la poubelle, arrive à se percher sur le haut de la gouttière, récupère un câble pour tirer de ses bras, passe une première jambe avant de rouler sur les ardoises.

Chuut…

La voiture passe, la vitre ouverte, les infos qui tournent, Clarisse un haut-parleur en pogne, qui se tient prête à beugler sur le moindre récalcitrant. Elle ralentit quand elle passe devant l'auberge, aperçoit le maire avec la famille, elle ne moufte pas. S'il y en a un qui devrait montrer l’exemple pourtant, cela devrait être lui… mais bon. Elle continue.

Elle trace doucement, remonte la départementale, tente à ralentir encore plus loin quand elle passe devant le gite du curé, elle le cherche un court instant. Puis enfonce l’accélérateur du petit 4x4.

Ange, c’est son prénom, au hussard sur le toit.

Le pote de Jérôme, celui qui picolait à l’église, celui qui a espionné la conversation téléphonique du curé.

Ange qui n’a rien d’un saint, visiblement, le gosse est un filou, cela se sent à son visage, son air malin, son regard vif, noir, une mèche de cheveux rebelle qui couvre son front assez large. Agile, chaussé d’un pantalon slim adapté à la situation, de chaussures légères, le gosse file de toitures en toitures comme un funambule, pour éviter les contrôles évidement, mais aussi, il a pris l’habitude comme cela d’aller voir Jérôme, son pote.

Puis de là-haut, il ne risque pas de chopper la maladie, de respirer les postillons comme il explique.

Même si Charly est moins rapide, il suit. L'ancien bidasse a gardé de son endurance et de ses réflexes, il continue de s’entretenir, va boxer régulièrement, court aussi.

De cette hauteur, il profite aussi du paysage, de cette belle et plate campagne berrichonne, au loin, devant le parc immense du château, le clocher pyramidal et longiligne de la petite église, derrière les trois rues sinueuses du village, toute de cette hauteur prend une nouvelle perspective. Un village isolé du monde, confiné dans la campagne. Posé dans un lit de champs et de quelques bois sous le couvercle d’un ciel vide de nuages.

Ils vont s’installer à l’angle de deux maisons qui, par leurs différences de toits et le léger rebord en pierre de taille, donne l’illusion d’un canapé posé de travers. Ange se perche sur la cheminée, un léger volant de fumée remonte.

- Vous connaissez le fromager ?

Charly pense savoir de qui il parle.

- La grange sur la sortie sud ? La maison avec le type à la berline, le mec qui semble sortir de cité.

- Il vient de la cité. Il vient d’Orléans le mec, l’Argonne. Il trafique.

Ça, Charly l’avait bien compris ! Cette nuit, il a trainé dans le pseudo laboratoire du fermier en jogging Adidas, il a vite capté qu’il avait à faire à de la came, mais un produit dont jamais auparavant il n’avait vu la couleur…

- Et alors ?

- Il est arrivé il y a un bout de temps. Le mec, il sortait de sa cité, il disait fuir un problème, qu’il devait se réimplanter quelque part, qu’il bossait pour un dénommé Joe ! Pas du genre très malin, mais vraiment excité. Il avait la frousse de tout, il avait aussi un paquet de pognon.

Charly sur le moment trouve l’affaire tarabiscotée.

- Il en parlait comme ça ?

Difficile à croire pour un type recherché !

- Il nous en a parlé à Jérôme et moi, il cherchait des coups de mains, des mecs pour l’aider à charger ses cartons. Il va régulièrement à L’Argonne.

Les allers-retours la nuit.

Charly garde en tête que Joe travaillait avec pas mal de fournisseurs, Garry devait en faire partie ? Ou tout du moins devait travailler avec eux.

Cela colle.

Le type, du genre « racaille de cité », matche aussi avec les individus qui trainent au quotidien avec le boss. Venir se planquer là, dans un coin paumé en pleine campagne berrichonne, c’est le meilleur moyen de passer inaperçu.

Tiny… Son blase.

- C'est pas Tiny. Fait Ange.

- Pas Tiny ?

- Son vrai nom, c’est Antoine, plus exactement Antoine Garribaldiny…

Garry. D’où le pseudonyme. Charly n’en revient pas… C’est lui ! Cela se confirme. Il commence à sentir l’excitation monter, la frustration aussi, celle de ne pas l’avoir butté cette nuit. Crevure, avec son pitbull.

- Comment tu sais tout cela ?

- L’auberge. Le mec, il est venu plusieurs fois, à force de tout le temps causer, de se faire repérer, la Schmitt, elle lui est tombée dessus pour un contrôle d’identité. Lui, il a joué le titi, il a tenté de l’enturbanner, mais la keuf, elle a pas apprécié le mec, alors elle a fait son enquête, appelé les condés. Là, il a changé de ton.

Il a obtempéré, sorti quelques papiers, son nom.

Charly en sait assez. Il se tourne maintenant vers le gosse :

- Et toi ? Pourquoi tu me dis tout cela ?

Ange a trouvé plus malin que lui. Il ne parait même pas surpris. Il soupire un moment… cherche ses mots.

- Il vient souvent à l’auberge… il l’a déjà dit. Il vient souvent et mes darons, ils peinent à payer les traites, les charges, alors il y a deux ans quand ils se sont installés, ils ont emprunté souvent, au début à la banque, puis à d’autres.

Tiny / Garry est arrivé.

- Il ne venait pas l’auberge pour s’amuser Garry !

- Non… Le gamin hésite. Mon père, il est fragile, son cœur, il est sensible aussi, il a pris peur… Il a tenté de défendre la maison, un jour il a expliqué qu’il ne payerait plus, qu’il refusait de lui donner des coups de main. Le lendemain, il s’est fait fracasser, je l’ai vu avec un gros coquard.

Le gamin n’en dit pas plus.

Charly en sait maintenant suffisamment.

- Pourquoi tu me le dis à moi ?

Ange cherche un moment ses mots…

- Il y a un Dieu rédempteur, il parait, celui qui sait juger et punir, non ?

Charly n’a pas la réponse. Il comprend juste à demi-mot.

- Depuis que ce mec est arrivé, il a tout changé dans le village. Il est pire que le virus, il nous a confiné depuis des mois.

Il est temps qu’on trouve l’antidote.

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