C'est le moment de feuilletonner...
L'auteur berricho-tourangeau Jérémy Bouquin l'a bien compris et vous entraine dans un polar sombre, en temps réel.

Un feuilleton polar, créé spécialement pour le Confi-blog de La Bouinotte… C’est le pari, avec ce roman noir planté du côté de Levroux, dans l’Indre, dont il va nous livrer un épisode chaque jour.
Pas de titre pour le moment. A vous de trouver !! On attend vos propositions sur notre mail : la-bouinotte@orange.fr, ou sur les réseaux sociaux de La Bouinotte.
Jérémy Bouquin
Autodidacte, réalisateur de courts et moyens-métrages, Jérémy Bouquin est auteur de romans policiers, nouvelles noires. Il a participé à deux recueils de nouvelles black Berry, éditions La Bouinotte. Sous l'alias Jrmy, il est scénariste de la Bd polar Le Privé. Mais dans "la vraie vie", Jérémy est travailleur social.
Son site : http://jrmybouquin.free.fr

Épisode 21
Sa patronne, à l’autre bout du fil.
Essoufflée.
Elle n’arrête pas de tousser, autour d’elle un bruit incessant.
- Mag ?
Elle arrive à peine à lui répondre, cherche sa respiration.
- Qu’est-ce qui t’arrive ?
- Le virus… elle pousse difficilement, le virus… Elle tousse à nouveau, impossible pour elle de reprendre sa respiration.
De la fièvre, elle n’arrive presque plus à respirer. Charly comprend alors le bruit autour, elle est dans un hôpital, une salle de triage.
On hurle.
Paris, sa région entière, un secteur touché de plein fouet par le virus, des milliers de personnes malades, des dizaines de milliers qui ont fui la capitale la veille du confinement. Sa patronne est restée, elle a toujours vécu à Paris, elle y habite même un très bel appartement, l’avocate ne se voit pas fuir en campagne ! Pour y faire quoi !
Résultat, elle est allongée sur un brancard, prise en charge par deux ambulanciers, son médecin traitant, par téléconsultation, vient de lui envoyer une ambulance, c’est grave, il a répété, c’est grave !
Cyanosée, presque dans l’incapacité de respirer, elle a bien tenté deux trois bricoles, prendre de l’aspirine, un peu de cocaïne aussi, cela lui fait du bien d’habitude, là… c’est plus compliqué.
- Son téléphone… on sait… on sait…
Le téléphone de Garry, son contact auprès de l’opérateur, il lui en a dit plus, on attendait de savoir à qui Garry avait pu retéléphoner.
- Une banque. Il a appelé une banque pour libérer une somme d’un compte. Un compte au Nicaragua.
Un infirmier lui prend son téléphone, raccroche.
Mag ?
Mag ?
Charly reste un moment le téléphone à l’oreille, tente de rappeler, tombe directement sur la messagerie. Merde !
« Un problème ? » demande Raoul, tout proche. Il avale déjà son troisième ballon de blanc. Jacotte a réussi à tirer son époux enfin calmé pour l’emmener se coucher dans leur chambre. Elle va lui refiler deux-trois somnifères au passage, cela devrait lui permettre de dormir. Le confinement, la télévision non-stop, les informations en boucle ont certainement affecté son mental, amenant l'anxiété au maximum.
- Ma femme n’arrive même plus à lire, ni même à se concentrer, elle voit la mort partout.
Elle est complètement dingue dès que je sors !
La maladie, silencieuse, loin, un village en attente, confiné. Charly commence à prendre conscience de la situation. Pour le moment, il était concentré sur sa mission : retrouver Garry. Là, la sensation de la maladie qui le touche, qui frappe Mag, commence à sérieusement le troubler.
Cela lui rappelle un théâtre d’opération qu’il a bien connu, un autre virus, auquel il a été confronté : Ebola. La Guinée en 2014, il était encore dans la légion. Il fallait sécuriser les intérêts économiques du pays, des transferts de mine de lithium. Les dispensaires étaient confinés dans les recoins des bidonvilles, des centaines de médecins venus du monde entier, en train d’essayer de contenir comme ils pouvaient le virus. Des centaines de malades, infectés, vomissant du sang, des fièvres hémorragiques puissantes puis la mort.
- Mon Père ?
Raoul qui l’appelle.
- Mon Père ? Un verre de blanc ? qui lui tend.
Charly qui avale cul sec sans même réfléchir. Concentre toi Charly, concentre-toi !
Il balbutie, explique qu’il va devoir rentrer.
- Vous allez bien ?
Il se tourne vers le maire. Il tente de sourire, le soleil lui frappe le visage, le temps de lever le nez, il aperçoit une silhouette sur le toit de l’auberge, une silhouette qui se glisse hors d’un Velux.
- Au revoir Raoul.
La maire à l’intérieur n’a rien vu. Laisse le curé partir, il pense qu’il va à sa chapelle, que nenni ! Charly suit la silhouette, se glisser un moment en direction de l’autre maison, et remonter les hauteurs de la rue. Sur les nervures des charpentes. Agile comme un singe, un jeune, un garçon visiblement. Le jeune équilibriste ne l’a pas remarqué, mais il profite d’un recoin et d’une poubelle à mi-hauteur de façade, pour lui aussi grimper sur la base de la gouttière.
Hop ! Vient là ! qu'il l’agrippe par la chaussure. Le gamin, surprit, manque glisser, se rattrape de justesse sur une zinguerie, avant de donner un coup de pompe en direction du curé, sa tête sortant au même moment.
Charly l’évite de justesse, ne lâche pas la prise, mieux, il arrive avec l’autre main à chopper le pantalon et le tirer encore plus. L'autre s’accroche, le gamin tient bon, il a de la force, il est très agile, visiblement habitué à l’exercice, mais n’a pas la puissance du militaire déguisé en cureton. Il finit par s’arracher deux ongles et se tordre les doigts, lâche prise sous le poids du colosse qui ne compte pas le laisser filer.
Dérape, les deux tombent et s’écrasent sur le trottoir.
Le gosse un peu sonné, n’a pas la force de se relever, Charly le redresse manu militari pour le plaquer contre le conteneur en plastique, bourré, dégorgé de poubelles puantes. Cela fait trois jours que les boueux ne sont pas passés !
- Je crois qu’on se connait !
Le pote de Jérôme, le squatteur de l’église, l’ami de picole du fils de Gilda ! Celui qui lui a échappé à l’église. Il le remet très bien !
Le gosse sortait de sa piaule de l’auberge, Charly en déduit qu’il a à faire au rejeton des tauliers.
- Lâchez-moi ! Il rechigne sans trop se défendre, il sait que le curé a la main lourde, il a peur de se prendre une rouste.
Le gosse a entendu la discussion.
Il lève les mains, il chiale à moitié, froussard, il se voit déjà ramené chez lui à coups de pied dans le cul par le curé.
Charly, lui, reluque le mouflet, le même âge que Jérôme, deux ados qui doivent passer leur temps à faire des conneries. Comment leur en vouloir, dans le coin, question filles, occupations, sorties, boîtes de nuit et soirée entre potes, le tour est vite fait, les deux ados doivent s’emmerder à longueur de temps et squatter les toits, comme l’église lors de leurs moments perdus.
Normal, des gosses !
Pourtant le môme laisse échapper un drôle de truc :
- Je sais, qu’il murmure. Je sais…
Le curé se penche, de quoi qu’il veut parler ? Ou plutôt qu'est-ce qu'il veut négocier pour éviter de se prendre une trempe, pire, qu’il le ramène chez sa daronne : la Jacotte !
- Je sais qui est Garry…
... il souffle alors, en voulant redresser sa mèche de cheveux un peu trop large, révélant un regard très bleu, très futé aussi.
Décidément, le gamin est vraiment malin, bien plus qu’il n’y parait.
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