C'est le moment de feuilletonner...
L'auteur berricho-tourangeau Jérémy Bouquin l'a bien compris et vous entraine dans un polar sombre, en temps réel.

Un feuilleton polar, créé spécialement pour le Confi-blog de La Bouinotte… C’est le pari, avec ce roman noir planté du côté de Levroux, dans l’Indre, dont il va nous livrer un épisode chaque jour.
Pas de titre pour le moment. A vous de trouver !! On attend vos propositions sur notre mail : la-bouinotte@orange.fr, ou sur les réseaux sociaux de La Bouinotte.
Jérémy Bouquin
Autodidacte, réalisateur de courts et moyens-métrages, Jérémy Bouquin est auteur de romans policiers, nouvelles noires. Il a participé à deux recueils de nouvelles black Berry, éditions La Bouinotte. Sous l'alias Jrmy, il est scénariste de la Bd polar Le Privé. Mais dans "la vraie vie", Jérémy est travailleur social.
Son site : http://jrmybouquin.free.fr

Épisode 20
Monsieur le maire !
La garde-champêtre sursaute, surprise.
Mais…
- J'ai besoin du curé ! Tout de suite. Il l'arrache au bureau de la fliquette et interrompt l’interrogatoire. Une urgence !
Clarisse n’a même pas le temps de réagir, voire de s’interposer que le maire embarque le curé, récupère son missel, ses affaires, même la monnaie. Ils se retrouvent en moins de deux à remonter la rue à toute vitesse.
Le maire n’en a pas dit plus au curé. Juste qu’il a besoin de lui.
- Il se passe quoi ? Charly enfile son cuir, voit bien qu’ils filent jusqu’à l’auberge. Les volets sont clos, les portes aussi.
Ce matin de printemps, il fait déjà beau, presque chaud, les arbres en fleurs annoncent les premiers pollens, ce qui n’échappe pas à Charly, déjà sensible aux acariens. Il se met à éternuer, fait prendre peur au vieux maire, qui le rappelle à l’ordre : les fameux gestes barrières, on éternue dans son coude ou dans un mouchoir jetable !
- Monsieur le curé, faites attention !
Déjà dans le pays, on annonce plus de morts à l’hôpital que la veille, des chiffres multipliés par deux, les voisins italiens comptent les décès cumulés par milliers, l’Espagne est dans la même situation, d’un coup la situation s’est comme aggravée, comme une prise de conscience collective, comme un sentiment lourd, tendu.
« Nous sommes en guerre » avait martelé le Président lors de son discours. Une guerre silencieuse qui tue, une guerre contre un ennemi invisible.
« La peste ! La grippe espagnole ! » hurle alors une voix, celle du cuisinier. C'est pour cela que le maire est venu chercher le curé. Pour Émile…
Jacotte tente de le retenir, mais le bougre est debout.
C'est elle qui a prévenu le maire, elle ne voyait pas qui prévenir d’autre, certainement pas Clarisse, elle aurait fait interner son Émile. Non, elle a appelé Raoul, qui lui a eu l’idée de chercher Charly.
- Qu’est-ce qui se passe, mon vieux cuistot ?
Il a déposé sur la table un seau, un pot de peinture rouge ! Dans un état second. Il est là à expliquer, délirer qu’il sait pour le voisin.
- Quel voisin ? demande Raoul.
- Celui du 8 de la rue des Chézeaux, j’y suis passé hier pour me balader, je l’ai entendu geindre et tousser, éructer ! qu’il beugle, emporté par sa folie. Il en prend le pinceau.
Raoul tente de s’approcher. Il demande à Jacotte un verre de blanc, un verre de blanc sec. Charly reste en arrière, regarde la scène.
- Il tousse, il est malade, certainement pestiféré, comme d’autres, il va tous nous contaminer !
- Tu regardes trop la télé, Émile, tu regardes trop les chaines d’info, tu dois te calmer.
Jacotte revient avec la bouteille de blanc, n’arrive pas à débouchonner tellement elle tremble, elle n’a pas la force. Charly s’en occupe.
- C’est le signe d’un changement d’époque, je le dis depuis des années, la nature se venge, la terre est en colère ! Cet été, la canicule, la chaleur qui développe de nouvelles maladies. Les vents qui lèvent les tempêtes.
Il parle sans discontinuer, déjà la veille il était bien pâlichon, bien allumé, mais là… Il est très haut perché. Complètement illuminé.
Charly verse un verre, tend à Raoul, qui propose à Émile de s’asseoir.
- C'est normal d’avoir peur mon balourd, c’est normal… tient, boit le médicament du bon maire… il le rassure, parle calmement.
- On devrait appeler le docteur, ou le SAMU… marmonne Jacotte, fébrile, elle a peur.
Voilà qu’Émile dégage le verre d’un revers de bras, qui se fracasse, arrose au passage Raoul qui a juste le temps de s’écarter !
« Le pouvoir leur fut donné sur le quart de la terre, pour faire périr les hommes par le glaive, par la famine, par la mortalité, et par les bêtes sauvages de la terre. »
Il râle alors.
- Encore la Peste de Camus ? demande Charly.
Le curé se souvient de la citation qu’il avait prononcée l’autre fois.
Jacotte, là, le dévisage, consternée :
- C’est la Bible, monsieur le curé ! C’est la Bible, l’Apocalypse selon saint Jean ! qu’elle soupire, presque défaite, si maintenant même les hommes de foi ne font pas le job ! Où va t-on !
- Calme toi, Émile… Calme toi… Raoul tente de capter son regard, les hommes, eux, se connaissent depuis si longtemps. Émile est un original certes, une forme d’artiste, il peint, sculpte, mais c’est surtout un fantastique cuisinier. Il a toujours des élans de folie mais jamais à ce point-là. Raoul parait tout autant décontenancé que Jacotte.
Charly se tourne vers le pot de peinture.
- Il voulait en faire quoi ?
- Une croix ! Un pestiféré ! hurle le cuistot, comme si cela tombait sous le sens.
- Il voulait enfermer le 8 de la rue des Chézeaux chez lui, et peindre une croix sur la porte, comme du temps de la peste. Il a lu cela.
- Il faut marquer les contaminés, protéger les plus faibles ! s’égosille l’autre, qui alors va pour lui arracher le pinceau et lui massacrer la tête. L’azimuté lui fonce dessus comme un buffle. Charly l’évite d’un quart de tour maitrisé, chope son bras et le retourne d’une clé tout aussi rapide pour aller le contrebalancer par la force de son inertie vers le mur en face.
Le plaque un coup sec contre le mur.
L’autre, surpris, le souffle coupé, le bras tordu, l’épaule quasiment déboitée, ne bouge plus.
Le curé, en quelques microsecondes, a complètement retourné la situation. Il le presse pour l’étouffer, pendant que Jacotte hurle à gorge déployée.
Le cuistot ainsi calmé, est retourné d’une volée par le curé, qui lui balance un coup de poing en plein dans le ventre. Histoire de le terminer.
Émile glisse alors le long du mur.
- Curé !
- Il est vivant, rassure Charly, le ton mesuré. K.O. mais vivant.
Jacotte se précipite sur son mari. Elle sent en effet son souffle.
- Vous savez vous battre, remarque Raoul.
- J’ai pris des cours de self défense.
Le curé se dirige vers le bar et tire un verre pour se servir de l’eau, de la communale, comme ils savent si bien dire. Il a besoin de se rincer le gosier.
- Vous avez des anxiolytiques ? il demande à Jacotte, alors qu’il connait très bien la réponse. La taulière présente quelques symptômes de la dépression.
Elle va en chercher. Elle va lui refiler deux-trois gélules.
- Il a déraillé… En conclut Raoul qui alors prend la bouteille de blanc et se sert une bonne tournée.
- Pas de blanc ? il propose au curé.
- Trop tôt ! Je vais tourner à l’eau. Il tend son verre. Il pose le nez dessus. Y’a comme un goût, une odeur.
Il grimace.
- Elle sent la vanille, votre flotte.
Il tend le verre au maire.
- La vanille ? Le maire n’y croit pas, le chlore certainement, ils ont augmenté les doses au château d’eau depuis la pandémie.
- Non, la vanille, corrige le curé, qui alors repose le verre.
- Certainement une particularité de la nappe phréatique.
Le curé préfère ne pas y goûter. Par contre il remarque un autre verre sur l’évier…
Il va pour saluer une dernière fois Jacotte, quand son téléphone sonne :
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