C'est le moment de feuilletonner...
L'auteur berricho-tourangeau Jérémy Bouquin l'a bien compris et vous entraine dans un polar sombre, en temps réel.

Un feuilleton polar, créé spécialement pour le Confi-blog de La Bouinotte… C’est le pari, avec ce roman noir planté du côté de Levroux, dans l’Indre, dont il va nous livrer un épisode chaque jour.
Pas de titre pour le moment. A vous de trouver !! On attend vos propositions sur notre mail : la-bouinotte@orange.fr, ou sur les réseaux sociaux de La Bouinotte.
Jérémy Bouquin
Autodidacte, réalisateur de courts et moyens-métrages, Jérémy Bouquin est auteur de romans policiers, nouvelles noires. Il a participé à deux recueils de nouvelles black Berry, éditions La Bouinotte. Sous l'alias Jrmy, il est scénariste de la Bd polar Le Privé. Mais dans "la vraie vie", Jérémy est travailleur social.
Son site : http://jrmybouquin.free.fr

Épisode 18
Il sort du château…
... passe par la grande grille du parc et, comme depuis qu'il est arrivé dans le village, se sent épié.
Il se retourne plusieurs fois...
... passe en revu le paysage, les façades fermées des maisons, fonce jusqu'à son gite, non loin.
Arrivé chez lui, s’enferme, à double tour. Charly se pose enfin. Le jour pointe déjà, il est presque six heures du matin. Il n’a quasiment pas dormi.
Embrumé, il dépose son Glock sur la table basse, va se poser dans le canapé en tissus face au poêle éteint. Il se laisse porter par les bruits de la maison, les craquements incessants, ceux du bois qui travaille, les souffles de vent qui passent sous la charpente. Il n’a rien prévu pour son petit-déjeuner, pas fait de courses avant le confinement, pas de bistrot d’ouvert, pas de boulanger non plus. Il a les crocs, il a bien une boite de gâteaux secs, des petits Lu dans sa bagnole, mais pas le courage d’y aller.
Au bout d’un moment, il se relève, va pour piocher dans son cuir son téléphone portable.
Avant de se rendre compte de quelques détails…
Déjà, les tiroirs de la cuisine, deux d’entre eux, sont légèrement ouverts. Pas correctement fermés. Même si la venue de Chantal l'a déstabilisé, il se remet parfaitement avoir plaqué ses mains pour en contrôler la fermeture. C'est un maniaque, Charly. Il ne laisse aucun détail derrière lui, il a bonne mémoire et mesure chaque geste. Un tueur, c’est aussi quelqu’un qui doit effacer toute trace de son passage, il a été préparé, formaté.
Des automatismes qui le poussent alors à passer en revue la cuisine, mais surtout sa chambre. Là, c’est beaucoup plus visible.
Inutile de passer au crible l’ensemble, l’armoire est grande ouverte, ses fringues étalées par terre, ses chemises en vrac et surtout : le Glock, le deuxième ?
Il l’avait planqué là.
Il remue dans tous les sens, cherche dans les frusques. Mais le doute s’efface devant la certitude : on lui a pris son flingue !
Merde !
Il file à la porte, pas de trace d’effraction, la serrure semble intacte, le système archaïque aussi, un seul verrou, une gâche fatiguée, elle ne s’enfonce pas assez dans le chambranle de la porte, avec une bonne radio, un plastique souple et solide, telle une carte de crédit, même un gamin arriverait à la forcer.
Charly se souvient pourtant avoir passé les clés avant de rentrer. Il les a même déposées sur la table. Il y a donc de fortes chances que le « cambrioleur » dispose des doubles : Gilda ? Son gosse, Jérôme ? Raoul, le gite lui appartient ? La femme de Raoul ?
Trop d’hypothèses…
Mais Charly qui se méfiait déjà beaucoup, va devoir redoubler de prudence maintenant.
Reprends toi… reprends toi…
Rien de ce qui semblait facile dans cette affaire ne le rassure. Déjà cette histoire de couverture, de se faire passer pour un curé, c’est stupide, mais là… C’est comme si le village entier était lié contre lui.
Reprends toi, Charly.
Il retourne à son canapé. Il reprend là où il en était… l’application appareil photo, le stockage, il a fait plusieurs clichés cette nuit, la voiture, déjà celle de Tiny, la racaille fromagère. Il en a aussi de sa trombine, prise rapidement, trop floue. Mais une silhouette et un blase, c’est un bon début, avec la plaque d’immat’ il devrait avoir une piste.
Dans le dossier, suit aussi celle du château, du conservateur, Guillaume Audru. Le gars est plus que louche, il l’a tout de même menacé, fume les mêmes cigarillos que Garry. Là, tout colle ! Les photos ne sont pas mieux, pas mal floues, le visage pris à la volée, le temps de faire croire qu’il téléphonait.
C’est pas terrible mais c’est un début. Il s’attarde à faire quelques manipulations, recadre, augmente les couleurs, leur intensité, le contraste. C’est mieux ! Mais pas terrible.
On croirait un mauvais cliché pour journal de starlettes.
Il stocke tout cela, va sur Internet. Merde ! Il ne capte pas dans le gite, la box est trop loin. Obligé d’aller se poser sur le trottoir froid et humide, juste en face de la rue, et le voilà, à deux doigts sur l’écran tactile, à surfer sur le web, ouvrir une messagerie d’un site inconnu, mais surtout cryptée qu'il utilise dans ce genre d’affaire. Une vieille technique expliquée par un expert du piratage, le même qui lui a débusqué le signal GPS de Garry lors de la réactivation du « portable mort ».
Il compose rapidement un message :
Deux suspects, peux-tu montrer ces photos à Joe, le temps que je continue de chercher ?…
Suivent trois-quatre lignes sur le village, une liste et une vague description de quelques habitants, Raoul le maire, un peu trop vieux, le cuisinier de l’auberge, le crépusculaire poète… le petit-fils de la centenaire, Serge le vieux à vélo… Il en a croisé du monde, il se rend compte, pourtant aucun ne semble coller à Garry.
A part le conservateur. Guillaume Audru.
Il contrôle son mail, les photos, envoie le message. C'est fait. Il dépose l’appareil et reste un moment assit là. Il contemple la rue, vide, l’alignement des maisons, accolées les unes aux autres, il entend même les oiseaux siffler. Depuis combien de temps n’a-t-il pas respiré comme cela ? Depuis combien de temps n’a-t-il pas profité d’une envolée de moineaux ?
Le voilà mélancolique ou poète !
Il se marre un moment, va pour allumer la première clope de cette nouvelle journée. Quand il se tourne vers son téléphone.
Mag ?
Elle est d’habitude plus réactive, jour et nuit, elle garde son téléphone comme un doudou, même le jetable.
L’avocate n’est pas du genre à se laisser aller, elle devrait déjà avoir répondu, tout du moins balancé un texto. Charly pompe sa clope, la première taffe, puis contrôle la réception de l’appareil. Wifi, deux barres, réseau pareil. Ça passe péniblement mais ça passe !
C’est pas normal, il laisse passer quelques secondes, fixe un moment les volets fermés de la maison de Gilda. Espère qu’ils se verront ce matin.
Après tout, le petit-déjeuner est compris dans le prix de location du gite !
Puis il se penche sur son téléphone. Toujours rien.
Merde…
Il compose alors le dernier numéro. Celui qu’il a retenu par cœur avant de partir. Et attend… Répondeur, elle ne répond pas. Il recompose alors.
Rien !
Jamais Mag ne fait cela, elle décroche toujours ! Il a comme un gros moment de solitude. Il lui balance alors un texto : tu me rappelles, j’ai du neuf.
Il dépose l’appareil près de lui, espère qu’elle va le rappeler, sinon…
- Monsieur le curé ?
Une voix derrière lui. Il ne l’a pas entendue venir celle-là. Le timbre particulier de Clarisse, la garde-champêtre.
- Je suis juste en face de chez moi, je n’ai pas besoin d’attestation de sortie pour cela ! qu’il grogne d’office le pseudo-curé.
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