C'est le moment de feuilletonner...
L'auteur berricho-tourangeau Jérémy Bouquin l'a bien compris et vous entraine dans un polar sombre, en temps réel.

Un feuilleton polar, créé spécialement pour le Confi-blog de La Bouinotte… C’est le pari, avec ce roman noir planté du côté de Levroux, dans l’Indre, dont il va nous livrer un épisode chaque jour.
Pas de titre pour le moment. A vous de trouver !! On attend vos propositions sur notre mail : la-bouinotte@orange.fr, ou sur les réseaux sociaux de La Bouinotte.
Jérémy Bouquin
Autodidacte, réalisateur de courts et moyens-métrages, Jérémy Bouquin est auteur de romans policiers, nouvelles noires. Il a participé à deux recueils de nouvelles black Berry, éditions La Bouinotte. Sous l'alias Jrmy, il est scénariste de la Bd polar Le Privé. Mais dans "la vraie vie", Jérémy est travailleur social.
Son site : http://jrmybouquin.free.fr

Épisode 16
Il a mis le temps à pioncer.
Une chose est sûre, c’est que Tiny n’est pas Garry ! Pas le style. Pas du genre discret, taiseux, comme a pu le décrire Mag au gré des discutions avec Joe.
Tiny, c’est un nerveux de la zone, venu dans le Berry pour du trafic. Reste à déterminer cette substance au gout de vanille.
Mais c’est pas son problème, à Charly.
Lui là, il se rentre chez lui. Gare sa tire en face de sa fenêtre et va pour se pieuter direct, sans même se dessaper, il l’a échappé de peu. Mais il est vanné, explosé.
Alors qu’est-ce qu’il n'a pas aimé le réveil !
Mais pas du tout.
A peine deux heures qu’il dormait qu’on a frappé à la porte. Mais cogné comme un malade, à bourriner : monsieur le curé ! Monsieur le curé !
Le temps de se dépêtrer des draps, de virer la couverture, les coups à la porte redoublent de puissance.
- J’arrive putain ! J'arrive ! qu’il braille. Charly dégage son Glock, il reste sur la défensive, tire sur le rideau qui donne sur la rue.
Il voit alors une petite vieille. Complètement échevelée, elle est en robe de chambre, mules aux pieds, elle donne du poing. Il reconnait alors La veuve. Celle du confessionnal.
- Il est venu ! Il est revenu ! Comme vous l’avez dit !
C'est quoi ce chambard ?
Il garde le Glock, le cale le long de sa cuisse, le bras ballant, de la main gauche ouvre à peine la porte.
- Monsieur le curé…
- Vous avez vu l’heure ? qu’il lance à l’affolée ! Trois heures du matin, c’est pas le moment pour la messe !
- Monsieur le curé ! Il est revenu !
- Mais…
Elle est complètement allumée la grenouille de bénitier, elle pousse limite la porte, elle cherche à rentrer.
- Qui est revenu ?
- Le fantôme ! Le fantôme du grand parc !
- Le quoi ?
La folle veut absolument le tirer dehors, elle veut lui montrer.
- Attendez ! Il fourre son calibre dans son dos, le cale dans son jean, et force la bonne femme à venir se poser à sa table.
Il allume la cuisine, lâche un regard dehors. Au carreau, plusieurs voisins sont allés entrouvrir les volets. Elle a réveillé tout le bled !
- Asseyez-vous ! qu’il ordonne, qu’elle se calme, et qu’elle la mette un peu en sourdine. La bonne femme se met à table, tire sur sa robe de chambre épaisse, voit bien qu’en dessous, elle est un peu trop « ouverte ».
- Vous êtes qui ?
- Irène Chantal.
- Irène…
- Chantal, elle corrige, son prénom c’est Chantal.
Il se sert un verre d’eau, il cherche un moment dans ses poches de cuir, pensait y avoir fourré ses clopes… la cartouche est restée dans la voiture, et le dernier paquet… il a dû le laisser à Gilda.
Il lui propose un verre d’eau alors, de la municipale comme il dit. Elle accepte, elle boit d’un trait, en redemande un, elle parait plus calme.
- Il vous arrive quoi, Chantal ?
- J’ai vu un fantôme, dans le parc. Elle se répète, elle monte à nouveau dans les tours, il lui fait signe de se calmer, qu’il n’y a rien à craindre.
- Il ressemblait à quoi ce fantôme ?
- A Jean Gabin ! elle balance, comme si tout cela était normal !
- Jean Gabin ? Charly ne suit pas.
- Jean Gabin en uniforme, elle précise, tout en sirotant le deuxième godet. Elle va mieux, pire, elle semble sérieuse, voire même lucide.
Charly reste un moment circonspect. Il y a de quoi ! Déjà le réveil, la nuit très courte… le fromager, ce bled, lui curé… En moins de vingt-quatre heures, sa vie de tueur à gage a complètement basculé dans un cauchemar sans fin.
- Okay.
Il s’assoit en face.
Il la regarde.
- Vous êtes qui, Chantal ? Il a besoin d’en savoir plus.
- Je suis la secrétaire du château !
Elle tire sur son peignoir, rabat ses cheveux filasses, elle semble très sérieuse quand elle dit cela.
- Depuis douze ans ! Et c’est la deuxième fois que je vois le fantôme de monsieur Jean Gabin, la deuxième fois !
Elle est tarée. Complètement cintrée, pense Charly. Il va devoir s’en dépêtrer, la ramener chez elle, trouver une solution pour s’en débarrasser.
Il hésite, ne dispose ni du téléphone de Raoul le maire, ni de celui de Clarisse, la garde champêtre. Il ne peut compter que sur lui-même et le peu de psychologie dont il dispose.
Là, il pense surtout à la cogner, l’assommer, la foutre sur le trottoir et laisser passer la nuit.
- Jean Gabin ?
- Peu de gens le savent mais lors de la Seconde Guerre mondiale, Jean Moncorgé, alias Jean Gabin, a passé plusieurs semaines à Bouges-le-Château au printemps 1945 ! Elle lève son index, elle raconte presque par cœur : avec son régiment de fusilier-marins. De braves et grands hommes qui dépendaient de la célèbre 2e DB. C'était juste avant le départ vers l'Allemagne.
Elle connait bien son histoire Elle te récite cela par cœur, comme une page de Wikipédia.
Bouges-le-Château, il l’a vu le fameux château, le grand parc… mais le fantôme de Jean Gabin.
- Ok Chantal ! Et vous habitez où ?
- Au château.
- Au château ?
- Je dispose d’un logement de fonction, je suis fonctionnaire d’État, Monsieur le curé !
Elle monte sur ses grands chevaux. Faut dire, quand on la voit dans cette état-là, c’est difficile à déterminer.
- Vous prenez quoi Chantal ? Des médicaments, vous avez bu un peu trop, de la drogue ?
Elle se met alors à devenir toute rouge, elle va pour exploser.
- Je rigole ! Je rigole ! On va aller voir cela !
- C'est vrai ? s’étonne presque la vieille folle.
Charly se relève. Sa nuit est flinguée, autant la terminer en beauté. Il prend son cuir, cherche ses pompes, garde le calibre dans son dos.
- Vous allez me montrer !
Le parc est à deux pas. Une centaine de mètres, il passe une grande grille, Chantal ferme la serrure derrière elle, avec une clé imposante qu'elle sort de sa robe de chambre, elle en tire une lampe torche frontale, qu'elle enfile autour de son crâne.
Elle logerait donc vraiment dans le château… comprend Charly.
- Pourquoi vous êtes venu me chercher moi ?
- Vous êtes curé ?
- Et alors ?
- Il s’agit de fantôme, peut-être même d’exorcisme ! Un esprit perdu… Elle y croit, Chantal, à tout ce folklore.
Une chouette hulule au même moment, le parc est grand, visiblement, et donne sur un bâtiment imposant. Au style particulier, on croirait le Petit Trianon.
Le domaine comprend 80 hectares. Un parc paysager, avec un arboretum, un jardin bouquetier créé en 1920 ! Elle commente la visite Chantal.
Elle se tord même pour viser de sa lampe une série de serres au fond.
- Des jardins « à la Française » d'un hectare, redessinés au siècle dernier par les Duchène père et fils.
Cela semble impressionnant. Charly ne connait que Nicolas le jardinier, un souvenir de télé de son enfance.
- Le parc offre également au regard des bordures de buis et d'ifs taillés « en cône », le tout entouré d'un double alignement de tilleuls.
La perspective du bassin mène au buffet d'eau de la nymphée, au centre de la pelouse s'élève un groupe sculpté de marbre blanc représentant Hercule.
- Les douze travaux ! Se souvient le pseudo curé.
Le jardin bouquetier est composé suivant deux axes principaux, au croisement desquels se trouve un bassin circulaire. La grande serre abrite quelques espèces de plantes rares ou exotiques. Le parc « à l'Anglaise » s'étend sur 80 hectares et comprend des liquidambars, des tulipiers, des hêtres, des berberis, des sumacs…
- Le parc est labellisé Jardin remarquable !
Charly n’écoute plus. Il suit juste. Trop fatigué, elle parle trop, Chantal, elle est dans son trip.
Avant de se braquer, et là de voir une silhouette !
- Il est là !
- Qui ?
- Jean Gabin ! Il est là !
Charly a juste le temps de voir se glisser une ombre, qu’il en dégaine son calibre.
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