C'est le moment de feuilletonner...
L'auteur berricho-tourangeau Jérémy Bouquin l'a bien compris et vous entraine dans un polar sombre, en temps réel.

Un feuilleton polar, créé spécialement pour le Confi-blog de La Bouinotte… C’est le pari, avec ce roman noir planté du côté de Levroux, dans l’Indre, dont il va nous livrer un épisode chaque jour.
Pas de titre pour le moment. A vous de trouver !! On attend vos propositions sur notre mail : la-bouinotte@orange.fr, ou sur les réseaux sociaux de La Bouinotte.
Jérémy Bouquin
Autodidacte, réalisateur de courts et moyens-métrages, Jérémy Bouquin est auteur de romans policiers, nouvelles noires. Il a participé à deux recueils de nouvelles black Berry, éditions La Bouinotte. Sous l'alias Jrmy, il est scénariste de la Bd polar Le Privé. Mais dans "la vraie vie", Jérémy est travailleur social.
Son site : http://jrmybouquin.free.fr

Épisode 13
Vingt heures !
On tape dans des gamelles ! On frappe fort !
Le cuisinier de l’auberge, le gros, en civil, en chemise hawaïenne, en claquettes, le voilà qu’il est dehors et qui tape sur des gamelles, deux qu’il en a sorti. Il est avec la Jacotte en train de crier, siffler à tue-tête devant chez eux, Raoul qui hurle :
« Vive les soignants ! Vive les soignants »
La Jacotte avec son téléphone portable qui le filme en direct sur Facebook. Cela dure un moment. Gilda va les rejoindre, tente de motiver son fils à venir, le curé aussi, mais Charly préfère rester loin de tout ce folklore.
Ils font comme en Italie, en Espagne, tous les pays un peu partout, où des gens calfeutrés sur leurs balcons à la même heure encouragent les infirmiers, toubibs… tous ceux qui donnent leur temps, leur énergie à combattre la maladie.
Eux font pareil, sur le bord du trottoir. Y'a bien quelques voisins qui passent la tête, dans la rue, on se demande ce qui se passe, puis au bout d’un moment, certains ferment les volets, retournent devant la télé, avant d’aller se coucher.
Cela dure une bonne minute avant que tout le monde remballe.
- Cela fait du bien ! revient rayonnante Gilda.
Malgré tout, la notion de confinement est aléatoire, car pour l’occasion, elle est allée rejoindre le couple de l’Auberge. Charly ne dit rien.
Il passe un temps avec Jérôme.
- Tu as le Wifi ! Il fait en lorgnant sur son téléphone portable. Avec son jetable, pas d’abonnement 3G mais, par contre, la possibilité de se connecter.
Le gosse ne comprend pas.
- Comment ?
- Je peux avoir le code wifi de la maison?
- Pourquoi faire ?
- Devine !
- Faut voir avec ma mère ! lâche le gosse.
Charly, lui, envisageait une autre réponse :
- Tu veux que je lui dise comment tu t’es pété le nez à boire du rhum avec ton pote dans ma chapelle ?
Il n'en revient pas le gosse.
Le curé le menace. Il le toise même, il est sérieux, le mec, il va le balancer à sa mère.
- Mais vous ne pouvez pas…
- Que tu crois ! Il va pour aller rejoindre Gilda.
- Attendez ! L'adolescent prend peur, il lui explique rapidement qu’il a configuré la box, que le mot de passe est tout simple. Il lâche une série de chiffres, et deux mots.
- C’est tout ?!
- C'est tout.
Le curé lance son portable, reconnait rapidement la connexion, entre le mot de passe, c’est parfait, plus qu’à enregistrer.
- Vous allez faire quoi ? demande le gosse.
- Surfer ! Évidement.
Il fourre le téléphone dans sa poche et va pour remercier Gilda, il doit aller se coucher, maintenant, les laisser.
- C’était très bon.
- Vous ne voulez pas rester un peu, on allait se regarder un film, j’ai aussi une bonne poire, et un dessert… des yaourts nature ! Elle tente. Elle ne se voit pas passer encore une soirée toute seule.
Même à l’année, elle a l’impression d’être confinée…
Elle reste avec le curé sur le trottoir, Jérôme est monté dans sa chambre pour aller jouer au jeu vidéo, certainement toute la nuit.
- Vous êtes là depuis longtemps ?
Elle ne se souvient plus, elle doit compter, Jérôme avait huit, neuf ans… deux mois après la mort de son père. Elle n’avait pas d’autres solutions. Ils avaient acheté une maison, lui était plombier, il est mort deux ans plus tard. Il venait tout juste de créer sa boite, les crédits se sont accumulés, les agios, très vite, elle a vu qu’elle allait tout perdre. Les banques lui sont tombées dessus.
- Alors j’ai fui.
- Fui ?
- Fui ! J'ai tout lâché, j’ai rempli la voiture de tout que je pouvais, et on s’est barré avec Jérôme. Je n’ai rien dit aux banques, aux assurances, j’ai tout plaqué pour venir là.
Une sacrée bonne femme.
Gilda…
Charly va pour s’allumer une clope, il lui tend le paquet, elle en prend une… Il craque la pierre de son briquet BIC, son visage s’éclaire.
- Et pourquoi Bouges-le-Château ?
Qui viendrait là ? Qui connait ce coin du Berry !
- A cause de Raoul… Elle tire sur la clope, ses lèvres charnues cramponnent le filtre. Cela fait un bout de temps qu’elle n’a pas fumé, elle souffle rapidement, crapote presque.
- Raoul ?
- C’est mon oncle, mon parrain aussi. Avec tata, ils m’ont tout de suite accueillie, hébergée, cette maison c’est la leur, le gite aussi. Je ne paye presque rien, je fais des ménages de temps en temps, du bricolage. Je me dépatouille et eux sont toujours là.
Elle a l’air heureuse.
Elle croise ses bras, elle a froid, la chair de poule. Charly la trouve forte.
- Et vous, mon Père ?
- Moi ?
- Vous n’avez pas toujours été prêtre ?
Elle devine, elle voit bien qu’il la regarde étrangement, puis son attitude détonne.
- J'ai voyagé… Pas mal bourlingué.
- Pour convertir les populations, donner la parole de Dieu ! elle imagine, dans les pays lointains.
- C'est un peu ça.
Il balance son mégot. Alors que Gilda lui tendait un cendrier. Pas grave !
- Et les femmes ? C'est terminé ? elle demande.
Il ne répond pas, comprend très bien le sous-entendu. Elle se tord un moment. Il la trouve vraiment belle, il y a un truc. Mais c’est pas le moment.
- C’est comme ça.
- Le vœu de célibat ! Elle écrase la clope et souffle un dernier nuage de fumée.
Il va pour lui souhaiter une bonne soirée, rentrer dans ses pénates avant de voir débouler une berline à toute vitesse. Il croit même reconnaitre celle qui était dans les bois tout à l’heure.
Putain !
La bagnole fait ronfler le V8 et remonte en direction de Levroux.
- C’est qui, Fangio ?
Il parle du chauffard qui a bien failli lui tailler un short.
- Le parisien.
- Le parisien ?
- Un gars qui vit là depuis un an, peut-être un peu plus. On dit qu’il vient de Paris, avec sa grosse bagnole, ses façons de parler, d’agir.
- D’agir ?
- Il écoute sa musique très forte, du rap, il se contrefout de ce qui se passe dans le village. Il est venu là soi-disant pour y monter sa boite.
Charly enregistre l’info.
- Et il loge où le parisien?
- La petite ferme en sortie du village sur la route de Levroux. Il y a une grange. Au début, il disait vouloir y faire du fromage de chèvre, du Valencay. Elle se marre, ironise même : avec un comportement de racaille et ses allures, je serais étonnée qu’il ait déjà vu des chèvres une fois dans sa vie.
Elle rentre chez elle, lui épargne une bise, ce n’est pas possible de toute façon. Lui s’allume une nouvelle clope.
Hésite un moment à faire en douce le tour du village et se faire repérer par les voisins, où attendre… Attendre, le temps que tout le monde dorme tranquillement, histoire d’aller faire un tour du côté de la mare.
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