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Confinés avec Jérémy Bouquin #12

C'est le moment de feuilletonner...

L'auteur berricho-tourangeau Jérémy Bouquin l'a bien compris et vous entraine dans un polar sombre, en temps réel.

 

Un feuilleton polar, créé spécialement pour le Confi-blog de La Bouinotte… C’est le pari, avec ce roman noir planté du côté de Levroux, dans l’Indre, dont il va nous livrer un épisode chaque jour.


Pas de titre pour le moment. A vous de trouver !! On attend vos propositions sur notre mail : la-bouinotte@orange.fr, ou sur les réseaux sociaux de La Bouinotte.


Jérémy Bouquin
Autodidacte, réalisateur de  courts et moyens-métrages, Jérémy Bouquin est auteur de romans  policiers, nouvelles noires. Il a participé à deux recueils de nouvelles  black Berry, éditions La Bouinotte. Sous l'alias Jrmy, il est scénariste de la Bd polar Le Privé. Mais dans "la vraie vie", Jérémy est  travailleur social.

Son site : http://jrmybouquin.free.fr


 


Épisode 12

Un mec qui conduit une Smart dans le bled :

c’est le conservateur du château !

Il l’a croisé en fin de matinée.

Charly se remet.

Le gars fume les mêmes cigarillos que Joe et certainement Garry. Mag, sa patronne d’avocate, avait expliqué plusieurs fois que Garry le dépannait… Il fumait la même marque, des trucs de prolos qu’on trouve partout. Elle n’avait pas la marque en tête mais ce sont ces cigarillos vendus pas cher, qui laissent une odeur immonde.

Joe est un fils d’ouvrier, de femme de ménage, même, devenu riche sur le business de la came, il avait gardé des habitudes, buvait son jus noir le matin, sans sucre, un Ricard en apéro.

Joe…

Charly ne l’a jamais rencontré, tout le monde en parle du côté des quartiers de Saint-Sulpice. On dit qu’il tient le député-maire par les couilles, qu’il a investi des milliers d’euros dans des affaires. Le mec est une légende et même en prison, il tient le marché de la dope.

Charly est resté un moment dans sa bagnole, le temps de fumer une clope, d’évaluer son unique et infime piste : le cigarillo.

C'est mince, mais c’est un début. Allez ! Go to the casbah ! On se rentre. Il reprend la même route, les gendarmes ont bougé visiblement, passé le croisement de la D2, le GPS se remet à cafouiller, cherche le satellite. Maintenant qu’il connait le chemin, il file tout droit, passe le bois épais d’où est sorti Serge la dernière fois, ralentit, croit y voir une voiture justement. Une Berline garée dans un chemin en parallèle.

Pas le temps de vraiment voir de qui il s’agit qu’il est déjà arrivé à Bouges, ralentit, descend les vitesses et se gare juste en face de son chez lui.

Il est à peine dix-neuf heures qu’il passe le pas de la porte. Rien ne semble avoir bougé depuis tout à l’heure. Il repère rapidement les lieux, il y a laissé des « indices ». Charly a l’instinct du chasseur, mais aussi de la proie, il se sait surveillé… Clarisse la garde-champêtre, les voisins, qui zieutent à longueur de temps les allées et venues.

Il se méfie.

Dépose les clopes dans le canapé en toile du petit salon, trouve qu’il fait un peu frisquet, il allume un convecteur, passe son blouson et se décide à fumer une clope sur le palier de la maison.

Les rues du village sont vides, tristes même. Le ciel bascule du bleu au gris. Seul un chat s’approche de lui. Le matou doit faire les gouttières, pas de plaque, il est chétif. Un peu sauvage comme lui.

Charly tend la main…

Puis de la maison d'en face, on l’appelle. Le chat s’enfuit. Disparait en quelques bonds rapides.

Gilda, sa propriétaire, vient d'ouvrir la fenêtre.

- Vous mangez avec nous ? elle lui propose.

Charly n’avait même pas idée qu’il devait se faire à bouffer, que la journée était déjà passée ! Il tire sa clope histoire de cogiter un court moment, manger, pourquoi pas ! Trouver de la compagnie cela ne lui fera pas de mal ! Il fait signe.

- C’est que j’ai rien… même pas une bouteille de vin.

- Pas grave ! Venez ! Elle lui fait signe. J'ai fait des nouilles ! Des carbonaras, y’en a pour un régiment !

Il se laisse emporter, l’odeur des lardons, de la crème fraiche... cela lui donne faim. Charly claque la porte, ne ferme même pas à clé. Il traverse la route, et entre dans la maison. Gilda apparait, un jean slim, un top décolleté, les cheveux relâchés, jolie, même très mignonne. Alors Charly s’en veut de s’être fait passer pour un curé…

Il soupçonne même qu’elle s’est un peu maquillée. Elle lui fait signe de retirer son blouson, d’aller dans le salon. La pièce est grande, une cuisine dépareillée, des papiers peints jaunis, le salon est ouvert sur ce qui ressemble à une salle à manger. Les travaux n’ont jamais été terminés. Elle explique rapidement.

Charly reste debout, fait tomber le blouson dans un fauteuil, remarque un polar ouvert sur la table basse. Une série de verres aussi, Gilda boit du Porto blanc.

Puis il entend du bruit à l'étage… Des pas, le parquet qui craque, les combles ont été aménagés.

- Jérôme ! qu'elle beugle, Gilda, elle touille les nouilles, mélange les lardons. Elle demande à Charly s’il peut préparer du gruyère, elle lui tend une rappe et le fromage dans un sachet.

- Jérôme ! Elle commence à monter dans les tours.

Charly se lave les mains, passe du liquide-vaisselle, frôle un moment Gilda, qui rougit rapidement, il s’excuse. C'est pas grave.

Un garçon descend alors.

Charly n'avait même pas envisagé qu’elle ait un morveux ! Un adolescent, qui file alors dans le salon, il s'installe.

- Lave-toi les mains !

- Mais…

- Lave-toi les mains, le virus ! Puis on mange, et dit bonjour à Monsieur le curé !

A la table du salon, Gilda installe une assiette en bout, une place qui n'a plus l'air occupée.

- Mon mari est mort… elle lâche, évitant ainsi toutes les questions à venir.

Charly se retourne pour se sécher les mains et tombe sur le gosse. Grand, les cheveux en pétard. La tronche bien amochée…

Merde !

Le lascar de tout à l’heure…

Les deux se remettent en même temps. Charly qui lui a balancé deux beignes, et le gosse qui venait avec un pote pour squatter l’église et y picoler du rhum !

Ben tiens ! Le hasard !

Et Gilda qui continue les présentations, elle installe les verres, ne remarque rien à l’effet de surprise des deux concernés.

- Jérôme, dis bonjour ! Puis elle se tourne vers le curé : Ne faites pas attention, il est tombé ce matin ! Il a marché sur un râteau ! Un ado ! Ce n’est pas moi qui le bât ! Elle se marre. Même si de temps en temps, ce n’est pas l’envie qui me manque !

Elle l’assassine alors du regard.

Le gamin n'ose même pas regarder Charly. Il devient rouge, puis blanc devant le curé.

- Une sale chute ! Remarque, cynique, le padre. Qui lui ne moufte pas, il garde le visage impassible, il sait mentir quand il le faut.

Le gosse file droit, va s'asseoir et préfère laver ses mains dans la salle de bain, revenir bien sage à table. Gilda, sur le moment, n’en revient pas.

Elle propose la chaise au curé, celle avec le coussin, la paille des assises est abimée.

- Vous… elle attend un bénédicité… certainement…

Elle n'est pas forcement croyante, mais respecte les dogmes et les règles. Elle attend. Jérôme ne bouge plus du tout.

Le quoi ?

Il ne comprend pas.

- Vous ne devez pas prier…?

- Pourquoi faire ? On fait cela toute la journée ! Il prend son verre et le tend. Il a vu la boutanche de rouge, déjà bien entamée. Il a soif.

- Ok… du vin ?

Elle verse du gamay, il avale. Pas mauvais, même bon.

Regarde le gosse, qui lui, en voudrait bien lichette aussi, mais pas ce soir ! Une fois par semaine, le dimanche justement.

Jérôme ne pipe pas mot, il se sert en nouilles.

- Et toi ? il demande au gamin, tu fais quoi ?

- Il est en bac professionnel, comme charpentier.

- Tu t'ennuies en ce moment, Jérôme ?

Avec le confinement, il n’y a plus d’école, plus de lycée, plus rien qui tourne. Le gamin ne semble pas plus troublé que cela. Prend même cela pour des vacances, même si le lycée leur a promis des devoirs par Internet. Le gosse s’en fout !

- Et vous ? Cette première journée ? Gilda lui demande.

- Je découvre. Je suis allé à mon lieu de travail.

- L’église est belle !

Il ne répond pas.

Il n’y connait rien, préfère manger une bonne plâtrée de nouilles. Elles sont délicieuses, et le jus est bien assaisonné, il y a du poivre, c’est relevé. Gilda apprécie le bon coup de fourchette du curé.

Au fond, la télé est branchée sur BFM. Tous les soirs le même rituel, le point du Ministère de la santé, le discours rassurant et technique de Jérôme Salomon, le directeur général de la Santé. Les recommandations tombent, un point sur l’étendue du virus dans le monde. Nous sommes le 18 mars, puis un décompte morbide, le nombre de personnes contaminées, le nombre de morts… Suit le jeu des questions-réponses avec les journalistes. Il semble que le pays affronte une des pires crises sanitaires que le monde ait connu. Une guerre comme l’a dit le Président de la République. On y parle du scandale du manque de masques et de moyens dans les hôpitaux, la durée du confinement. Il n’y a pas forcément de réponses claires. Juste des visages crispés.

- Combien de temps va durer le confinement ? - Quinze jours pour le moment, mais c’est un minimum… rassure le ministre. - Et après ? lance le journaliste. - Après ? Le ministre ne comprend pas. - Après il se passera quoi ? Là, pas de réponse. Juste un signe de la main.

Fin de conférence, pliez, il n’y a plus rien à voir.

Suit après le bal des commentateurs, qui ergotent des heures et des heures sur l'évolution du nombre de morts, des « clusters », le terme dans la novlangue gouvernementale pour désigner des foyers. Dont on se refuse à dire le mot.

On parle trop !

Charly trouve.

Charly lève son assiette et demande : je peux en reprendre ?

Autour à table, plus personne n’a faim.

Bim! Bim ! Bim !

Et vlà qu’un tintamarre éclate.

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