C'est le moment de feuilletonner...
L'auteur berricho-tourangeau Jérémy Bouquin l'a bien compris et vous entraine dans un polar sombre, en temps réel.

Un feuilleton polar, créé spécialement pour le Confi-blog de La Bouinotte… C’est le pari, avec ce roman noir planté du côté de Levroux, dans l’Indre, dont il va nous livrer un épisode chaque jour.
Pas de titre pour le moment. A vous de trouver !! On attend vos propositions sur notre mail : la-bouinotte@orange.fr, ou sur les réseaux sociaux de La Bouinotte.
Jérémy Bouquin
Autodidacte, réalisateur de courts et moyens-métrages, Jérémy Bouquin est auteur de romans policiers, nouvelles noires. Il a participé à deux recueils de nouvelles black Berry, éditions La Bouinotte. Sous l'alias Jrmy, il est scénariste de la Bd polar Le Privé. Mais dans "la vraie vie", Jérémy est travailleur social.
Son site : http://jrmybouquin.free.fr

Épisode 10
Charly s’est retrouvé tout seul dans l’église.
Posé sur un banc, face au crucifix, il jauge un long moment le Christ sur sa croix.
Un Christ en céramique, le visage tourné vers le ciel implorant son père.
Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?
Une parole qui lui revient.
Un temps à penser à cette galère, à chercher un dénommé Garry, dont il n’a ni photo, ni réellement de description, juste un téléphone qui a borné.
Il inspire profondément, tout cela, c’est comme chercher une aiguille dans un botte de foin. Puis, qui dit qu’il est toujours là…
Son téléphone gronde à ce moment-là. Mag.
- Oui ? Ni politesse, ni même de sympathie, sa patronne n’est pas du genre à s’offusquer. Elle tousse par contre, une toux sèche qui résonne dans l’oreille.
Une cane tellement puissante que Charly en écarte l’écouteur.
- Ça ne va pas ? il demande.
- T'en es où ? elle tente de dire entre deux inspirations asthmatiques.
- Je suis installé, je découvre.
- Tu découvres quoi ?
- Je découvre le bled.
Il lorgne un moment l’église, contemple les hauteurs de la nef, les vitraux aux couleurs vives. Doute encore. Sa présence, comment s’y prendre.
- Je vois Joe demain.
Joe…
En prison bien évidement, Joe est tombé à cause de Garry.
- Tu l’as déjà vu, Garry ?
- Non… Je n’ai jamais pu avoir accès à son dossier, ni même le voir. Ni durant l’enquête contre Joe, ni même durant le procès.
Garry a bénéficié des dernières lois qui protègent les témoignages, ceux des repentis. Mais en France, pas de protection des témoins, pas de changement d’identités. Garry a balancé Joe, son business, celui de la dope, du quartier Saint-Sulpice, des magouilles avec les élus locaux… Garry avait accès aux comptes.
Une deuxième ligne, à l’écart, mais suffisamment en contact pour avoir eu accès à des tonnes, de données…
Joe ne l’a pas vu venir. Mais il a vite compris que la balance, c’est ce salopard de Garry.
- Joe doit te décrire Garry. Je dois avoir plus de détails… Il avait de la famille ? Une femme ? Une petite amie ?
- Non… Mag tousse encore, s’agace, elle a déjà répondu à ces questions.
- Comment il a croisé ton client ?
Charly, évite de dire des noms. Même si son téléphone est jetable, comme celui de Mag, rien ne dit que les flics ne sont pas en planque devant chez l’avocate. Puis on n’est jamais trop prudent.
- Garry bossait au Tiparillo.
Un grouillot, un serveur…
Tout simplement.
Le Tiparillo… L’unique troquet en plein centre du quartier Saint-Sulpice. Le bureau de Joe. Il y venait tous les jours du matin au soir. L’enquête avait même démontré que par des montages financiers, il en était le propriétaire…
Joe s’installait à sa table, au fond, entouré de trois ou quatre gars, pour y boire des coups, faire son PMU, et surtout gérer ses affaires.
Garry assurait le service. Un gosse du quartier, qui trimait au black.
Invisible.
Il prenait les commandes, venait ramasser la monnaie, gagner de généreux pourboires, et surtout le gosse était malin…
Si malin qu’il a tout noté, les allées et venues, le blaze des fripouilles, tout ! Il avait tout, et du jour au lendemain, les flics se sont intéressés à lui. Les condés lui ont retourné le cerveau.
- Comment veux-tu que Joe se souvienne d’un grouillot ! s'étouffe Mag. Elle siffle, tellement sa toux est carabinée.
Elle a raison…
- J’ai besoin de détails, de la couleur de ses yeux, son parfum, ses habitudes, Joe doit bien se souvenir d’un truc.
- Un serveur ! Un putain de serveur, Charly ! Le mec lui servait ses bières, son café, lui achetait ses clopes, débarrassait sa table. Comment veux-tu te souvenir de quelque chose ! Elle s’agace, beugle dans le téléphone.
- Demande-lui… s’il te plait.
Elle inspire, gronde dans le haut-parleur, s’allume une clope.
- Tu devrais arrêter de fumer… avec ta toux.
- Ta gueule, Charly !
Fumer…
- Il fume Joe ?
- Des cigarillos. Pourquoi ?
Charly réfléchit un long moment…
- Charly ! Grouille toi de me dégommer Garry ! Grouille toi !
Elle raccroche. Juste le temps de fourrer son téléphone, de redresser le nez, le voilà qu’il tombe sur une bonne-femme.
- Mon père ?
Il sursaute tellement, il ne s’y attendait pas. Il ne l’a pas entendue venir, celle-là !
- Mon père… je viens me confesser…
- Vous…
Elle n’a pas l’air d’avoir entendu la conversation.
- Vous quoi ?
- Me confesser ! Elle montre une cabine à droite, un rideau…
Charly se relève, il tente de se remettre. La petite bonne-femme ne semble pas bien. Elle presse son sac à main contre elle, un manteau épais, une écharpe en laine qui lui remonte jusqu’au nez, elle semble s’écarter, comme pour marquer un écart suffisant pour ne pas chopper de microbes.
Le pseudo-curé ne se voit pas la dégager, cela ne se fait pas, il doit tenir son rôle, il lui propose de passer devant, de s’installer.
Elle entend qu’il doit se préparer.
Elle va donc se glisser dans sa partie de cabine, lui devine qu’il doit entrer dans l’autre, il tire un rideau, s’installe pendant qu’elle ouvre son manteau, se met à l’aise, comme protégé par la modeste grille qui les sépare.
- Mon père j’ai pêché… Elle explique.
- Ok… il cherche ses mots, inspire profondément. On va y aller alors, expliquez-moi pour vos bêtises.
C’est pas forcément le genre de propos qu’attendait la pauvre femme, mais elle continue tout de même.
- Je pense à un homme, des hommes… mon esprit, mon corps est dévoré par un appétit terrifiant.
Charly pensait pas.
Elle part fort, la petite dame, elle garde les yeux rivés vers le sol, les mains collées, elle se met à tout balancer :
- J’ai plusieurs fois succombé. Je me suis laissée emporter par les émotions, j’en ai rêvé la nuit, comme envahi par le démon, des secousses terrifiantes.
Des secousses…
Charly hésite entre se tordre de rire, et la gronder, impossible de savoir exactement.
- Tous les jours, je pense à lui.
- Lui ?
Elle ne répond pas. La petite vieille préfère continuer…
- Le démon m’appelle.
- Et alors ? Vous lui en avez parlé ?
- Je vous en parle ! elle explique.
- Je parle de « Lui » celui qui vous… Il cherche ses mots : celui qui provoque en vous ce genre de chose !
- Mais je suis veuve, j’ai promis fidélité à mon André, mon défunt mari.
Charly ne voit pas le problème.
- Et alors ? Il fait abrupt.
- Alors ? Elle ne comprend pas.
- Il n’est plus là, votre mari ! Il ne va pas vous juger, ni même venir vous hanter ! Faut vivre ma petite dame, faut vivre ! Qu’il abrège alors.
- Mais… je dois faire quoi ?
- Faut essayer ! Faut vous laisser aller, le laisser venir. Et voyez !
- Quoi ? Elle n’en revient pas.
- Faut essayer voir l’autre et essayer ! Voilà tout ! On n’a qu’une vie ! Allez !
- Mais…
Elle attend un moment, abasourdie par ce qu’elle vient d’entendre, elle cherche ses mots, mais au moment de lancer un « Je vous salue Marie ». Elle devine que le curé est déjà parti ! La porte de l’église claque.
Charly n’a pas que cela à faire, de perdre son temps avec les lamentations.
Il a un boulot !
Et surtout, il a peut-être une idée !
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